L'Adour, aller au fil de l'eau

L'Adour, aller au fil de l'eau

Historiquement, les voies d'eau ont participé, voire déterminé l'aménagement et le développement des territoires. La disponibilité de la ressource en eau et le transport fluvial ont conditionné l'installation et le développement des cités landaises. De la même manière, l'installation et le déploiement des activités économiques sont intimement liés à la ressource en eau. Sur le fleuve Adour et ses affluents, les aménagements pour tirer parti de la ressource et de la force du courant ou s’en prémunir sont nombreux, et sont souvent réalisés sous l’impulsion des autorités, qu’elles soient seigneuriales au Moyen Age, religieuse ou, après la Révolution, administrative.

Sommaire

Aménager

Sur le fleuve Adour et ses affluents un grand nombre d’aménagements, certains très anciens, facilitent l’exploitation des eaux et du courant. La plupart d’entre eux ont plusieurs objectifs : stabiliser le lit du cours d’eau ; augmenter la vitesse d’écoulement en rendant le tracé plus rectiligne ; la ralentir en barrant la rivière totalement ou en partie afin d’établir une dérivation dans des canaux artificiels. Certains aménagements sont voulus par les autorités et modifient considérablement la physionomie du fleuve et de ses affluents.

1- « Plan du cours de l'Adour aux abords du pont de Saint-Sever » dressé par le géomètre Jalleret, 37,8 x 99 cm, 1818. AD 40, 2 S 1298. 1 6
1- « Plan du cours de l'Adour aux abords du pont de Saint-Sever » dressé par le géomètre Jalleret, 37,8 x 99 cm, 1818. AD 40, 2 S 1298.

Au niveau de Saint-Sever la présence de nombreuses saligues sur ce plan témoigne des fréquentes divagations du fleuve. En 1818, un géomètre relève le tracé de l’Adour à proximité du pont de Saint-Sever et du quartier de Péré, en établit les profils afin d’envisager une rectification rectiligne de son cours permettant de chenaliser durablement le lit du fleuve.

2- « Grenade-sur-l'Adour (Landes) - Digues de Saint Maurice », Cliché J. Tapie Lectoure, Edition Serres Tabacs, [1901-1910]. 2 6
2- « Grenade-sur-l'Adour (Landes) - Digues de Saint Maurice », Cliché J. Tapie Lectoure, Edition Serres Tabacs, [1901-1910].

La digue de Saint-Maurice coupe l’Adour, de la commune de Saint-Maurice-sur-Adour (rive droite) à la commune de Larrivière-Saint-Savin sur la rive gauche qui appartenait à Saint-Maurice jusqu’en 1806. La présence de cet ouvrage est attestée en 1742 mais elle est probablement plus ancienne ; sa construction et surtout son exhaussement provoquent de multiples incidents avec le bourg de Grenade en amont, en particulier lors des crues. Ces incidents et les plaintes qui en résultent sont à l’origine de plusieurs « Règlements d’eau » qui établissent les propriétés et mesures de cette digue. Celui de 1849 autorise le propriétaire à dévier une certaine quantité d’eau avec une digue de 190 mètres de long et un couronnement de 2,58 mètres.

Aujourd’hui encore les évolutions de la digue sont l’objet de plaintes et requièrent l’attention des pouvoirs publics.

3- « Projet d'un barrage en charpente et pierres sèches avec passelis ou pertuis en maçonnerie à construire sur le Haut-Adour pour améliorer la navigation », 46 x 60,7 cm, 1936. AD 40,  9 S 114. 3 6
3- « Projet d'un barrage en charpente et pierres sèches avec passelis ou pertuis en maçonnerie à construire sur le Haut-Adour pour améliorer la navigation », 46 x 60,7 cm, 1936. AD 40, 9 S 114.

En 1836, le souci d’améliorer la navigation de l’Adour incite les ingénieurs des Ponts-et-Chaussées à envisager de nouveaux équipements. Ici, l’ingénieur établit le plan à l’échelle d’un barrage. Construit en charpente et pierres sèches, il dispose d’un pertuis, ouverture pour laisser passer les bateaux, dont les murs latéraux, le bajoyer, sont en maçonnerie. « Passelis » signifie que l’ouverture est dépourvue de système de fermeture.

4- Vue des portes des Barthes de Saubusse-les-Bains, été 2019. © France Rosmann. 4 6
4- Vue des portes des Barthes de Saubusse-les-Bains, été 2019. © France Rosmann.

Riverains de l’Adour, les barthes sont des espaces sensibles aux mouvements des marées et régulièrement inondés. Vu leur pente minime, l’écoulement des eaux y est difficile. Les travaux de drainage de ces espaces commencent à la fin du XVIIe siècle ou au début du XVIIIe siècle avec la constitution d’un réseau complexe de canaux. Ils permettent l’évacuation dans l’Adour des eaux de pluie, de ruissellement et d’inondation grâce à un système de « portes à flot ». Elles s’ouvrent pour laisser passer l’eau des barthes à marée basse et les ferment à marée haute.

5- « Plan des lieux » du canal du moulin de Sorde établi à l'occasion d' « un litige entre les Sieurs Castets et Barrère, meuniers associés, demeurant à Sorde et le Sieur Dufour, propriétaire, demeurant à Estibeaux, Dax, 12 avril 1883. AD 40, 10 U 10 5 6
5- « Plan des lieux » du canal du moulin de Sorde établi à l'occasion d' « un litige entre les Sieurs Castets et Barrère, meuniers associés, demeurant à Sorde et le Sieur Dufour, propriétaire, demeurant à Estibeaux, Dax, 12 avril 1883. AD 40, 10 U 10

Le moulin de Sorde, sur le Gave d’Oloron, fonctionne grâce à un canal de dérivation creusé au sud de la rivière. Pour faciliter l’alimentation du canal, des digues ont été aménagées dans le courant du Gave avec des passelis ; une partie de l’eau est dérivée vers le moulin (en bas à droite du plan), l’autre s’engage dans le passelis et suit le tracé du Gave. Ce plan a été levé lors d’un conflit lié au mauvais entretien des digues qui laissait passer plus d’eau et donc diminuait l’efficacité du moulin.

6- « Plan général du Canal des Petites Landes entre Mot-de-Marsan et Lavardac», 54 x 90 cm, 1815-1843. AD 40,  9 S 117. 6 6
6- « Plan général du Canal des Petites Landes entre Mot-de-Marsan et Lavardac», 54 x 90 cm, 1815-1843. AD 40, 9 S 117.

Le projet est d’envergure puisqu’il s’agissait de relier la Midouze à la Baïse en empruntant les vallées de la Douze, de l’Estampon, du Rimbez et de la Gélize. Les gabarres auraient pu relier Mont-de Marsan à la Garonne au port de Pascau (commune de Saint-Léger en Lot-et-Garonne) au nord d’Agen, près d’Aiguillon. La longueur prévue du canal était de 110 kilomètres mais du fait des dénivelés vers la Baïse et la Douze, il nécessitait la construction de 57 écluses, de 52 ponts et de 19 aqueducs. Le coût en aurait été prohibitif.

Le projet est abandonné en 1903 ce qui correspond à la cessation d’activité du port de Mont-de-Marsan.

Naviguer

Descendre et monter le fleuve, passer d’une rive à l’autre furent longtemps des nécessités pour assurer le lien entre les populations, les territoires, et réaliser des échanges commerciaux. Utiliser les ressources halieutiques a été essentiel pour subvenir à l’alimentation, longtemps réglée par l’Église qui imposait 146 jours « maigres » par an, c'est-à-dire sans viande. Cependant, par ses régimes différents et sa morphologie même, l’Adour n’était et n’est toujours pas navigable sur l’ensemble de son réseau, d’où le recours à la route et aux chemins charretiers. C’est dans un triangle compris entre Saint-Sever, Mont-de-Marsan et Bayonne que le fleuve a longtemps été emprunté comme voie de déplacement et de commerce. La partie navigable au XIXe siècle a progressivement été réduite à la zone comprise entre Port-de-Lanne et l’embouchure, soit 35 kilomètres. Pendant des siècles, une multitude de bateaux et de bateliers sillonnent le fleuve, aidés parfois par les hommes et leurs bêtes, qui du chemin de halage, assistent les équipages dans la traction et les manœuvres.

Il est aujourd’hui difficile d’imaginer la diversité des bateaux qui empruntaient le fleuve...

Produire, échanger

Dès le Moyen Âge les flux commerciaux sur la partie navigable de l’Adour et certains de ses affluents se développent comme en témoigne l’activité portuaire de Mont-de-Marsan à partir du XIIIe siècle sur la Midouze. En attestent aussi les conflits qui opposent au XVIe siècle les négociants de Bayonne et les seigneurs qui contrôlent le fleuve et perçoivent des péages sur la navigation et le transport de marchandises. Ces flux connaissent une importance considérable à partir du XVIIe siècle. 

Traverser

Après avoir dévalé de ses sources montagnardes, l’Adour, dans le département des Landes s’écoule dans une plaine à l‘inclinaison est-ouest dans laquelle la vallée fluviale ne fait pas une incision très profonde. Elle sépare des rives dont les paysages ruraux sont semblables même si la rive gauche présente quelques abrupts, premier étage du piémont pyrénéen. Sur l’ensemble de ce trajet jusqu’à l’embouchure, le fleuve est moins une séparation entre les deux rives qu’un espace d’eau aux contraintes particulières que les riverains apprivoisent et qu’ils vont traverser longtemps.

Longtemps les hommes s’adaptèrent au fleuve et à ses contraintes en fonction des saisons qui rythment la vie agricole et rurale.

Embarquer, débarquer

Ancienne, la navigation sur l’Adour connaît une croissance importante aux XVIIe et XVIIIe siècles puis décline au siècle suivant. Les activités nécessaires au commerce fluvial se concentrent dans les ports de différentes villes ou bourgs riverains de l’Adour et de ses affluents importants, Midouze et Gaves-Réunis. Ils dépendent de la configuration du cours d’eau, de l’environnement économique immédiat et des liens pouvant s’établir avec des axes de circulation locaux et régionaux. Le développement du port nécessite l’organisation d’activités et des aménagements sur les quais et les rives. Accostage, mouillage des bateaux, embarquement, déchargement des marchandises, stockage nécessitent des infrastructures mais aussi la présence d’une main d’œuvre plus ou moins qualifiée pour assurer activités commerciales, manutention des marchandises, navigation proprement dite, entretien des embarcations et contrôle de la circulation. D’où, tout proches des quartiers accueillant infrastructures et main-d’œuvre : quais, cales, entrepôts, chais et greniers, logements, lieux de vie et de divertissements. À partir de 1830, les Ponts-et-Chaussées landais prévoient de nombreux aménagements afin de soutenir la navigation commerciale sur l’Adour.

Ces ports sont plus ou moins actifs et de ce fait leur quartier portuaire ne se développe pas de la même façon. Ainsi les ports urbains de Mont-de-Marsan et de Dax, au cœur de leur ville, se distinguent nettement des ports ruraux par l’importance de leurs infrastructures, l’organisation du quartier, la diversité de la main-d’œuvre.

S'émouvoir et imaginer

Les fleuves trouvent leur place dans l’imaginaire des hommes. S’ils exercent une certaine attirance, inspirent poètes et peintres, ils sont aussi source de peurs, de répulsion parfois. Leurs eaux recèlent des mystères, elles soignent (sources miraculeuses et thermalisme), abreuvent, nourrissent et fertilisent les rives (barthes), mais leurs forces parfois dévastatrices déclenchent peurs et désarroi. Cette ambivalence entre confiance et méfiance conduit l’homme à vouloir les comprendre, les surveiller, pour enfin espérer les maîtriser. Il en est ainsi pour l’Adour.
Parmi les populations riveraines on trouve bateliers, pêcheurs, marins.

Les auteurs

Dans le cadre de l’exposition « Adour, d’eau et d’hommes » présentée aux Archives départementales des Landes, un conseil scientifique composé de deux historiennes et d’un géographe a été retenu afin de rédiger une synthèse autour de trois grandes thématiques que sont « La ressource », « Le courant » et « Le chemin de l’eau » dans lesquelles vous aurez plaisir à découvrir de nombreux chapitres sur l’histoire du fleuve Adour.

Les Archives départementales, la direction de la culture et du patrimoine ainsi que le Conseil départemental des Landes tiennent à adresser leurs remerciements aux différents auteurs pour la qualité de leurs textes

  • Madame Chantal Boone est docteur en histoire contemporaine (Ecole des hautes études en sciences sociales, Paris) et spécialiste en histoire de la médecine et des sciences biologiques au XIXe siècle. Professeur en immunologie puis en histoire et géographie, elle a été enseignante au service éducatif des Archives départementales des Landes. Retraitée de l’Education nationale, elle est l’auteur de deux ouvrages, Léon Dufour (1780-1865), savant naturaliste et médecin et Hommes de sciences dans les Landes aux XVIIIe et XIXe siècles et codirectrice de publication des Actes du colloque Herbiers, trésors vivants.
  • Docteur en histoire (Université de Pau et des Pays de l’Adour), madame Sophie Lefort-Lehmann est spécialiste du patrimoine fluviomaritime. Enseignante en tourisme, histoire et patrimoine à Bayonne, elle occupe le poste de médiatrice culturelle pour le Pôle Patrimoine et l’Office de tourisme de la Ville de Bayonne. Elle est également l’auteur d’articles dans les revues Historia et Arcades.
  • Agrégé de géographie, monsieur Jean-Jacques Fénié a enseigné la géographie et la géopolitique du monde contemporain en CPGE (classes préparatoires aux grandes écoles) à Pau, puis à Bordeaux. Membre du conseil scientifique de l’exposition « Adour, d’eau et d’hommes », il est l’auteur de nombreuses publications dont le Dictionnaire des pays et provinces de France co-écrit avec son épouse Bénédicte Fénié, L’invention de la Côte d’Argent suivi du Vocabulaire de la Côte d’Argent, etc. Il est membre de la Société de Borda et correspondant de presse pour le journal Sud-Ouest où il assure aussi la rubrique hebdomadaire Parlam gascon.

Les Archives départementales remercient également tout particulièrement l’Institution Adour ainsi que son Président, Paul Carrère et Aurélie Darthos, directrirce générale des services techniques pour leurs investissements, disponibilités et l’écriture de la dernière partie de cette publication de synthèse.