L'Adour, s'installer aux bords
L'Adour, s'installer aux bords
Fleuve nourricier, les découvertes archéologiques témoignent d’une implantation humaine ancienne, remontant à la Préhistoire (Gave de Pau par exemple). L’homme intervient très tôt dans l’histoire de l’Adour s’installant à proximité pour profiter de ses ressources et satisfaire ses besoins essentiels. Les hommes aménagent les bords de l’eau pour y installer ses outils de pêche, organiser les champs.
Dans les eaux douces et salées de l’Adour, la ressource halieutique est importante et les pêcheurs inventent une grande diversité d’engins et de techniques qu’ils adaptent au régime du fleuve et aux espèces emblématiques.
Occupant en majorité un espace de plaines et de collines, le bassin de l’Adour apparaît comme un ensemble de régions agricoles affirmées. Historiquement appelée « pays salubre » (du latin « Colossia »), la Chalosse offre un visage différent des Landes : celui d’un paysage fertile et vallonné.
La force de son courant, l’homme l’a utilisé très tôt. Sur les bords de l’Adour et de ses affluents certaines activités utilisent directement le courant de l’eau. Ces activités, présentes tout au long du fleuve, entrent en déclin dès la fin du XIXe siècle avec les deux premières révolutions industrielles, la concentration des productions et la littoralisation des activités sur l’embouchure.
Les hommes vénèrent les pouvoirs de l’eau depuis la nuit des temps. Ils lui attribuent, au même titre qu’aux arbres et aux pierres, des pouvoirs de guérison ou des vertus miraculeuses. Les Landes comptent plus de 200 fontaines et 85% d’entre elles se situent sur le bassin de l’Adour. Quels que soient leurs emplacements, les fontaines miraculeuses constituent un patrimoine rural traditionnel toujours très présent en Nouvelle- Aquitaine. Nombreuses dans le bassin versant de l’Adour, les sources thermales (Température supérieure à 30°C) suscitent dès la fin du XVIIIe siècle, l’intérêt scientifique des médecins qui les analysent et en préconisent les usages en fonction des pathologies.
Sommaire
Dominer les rives
Dès le Moyen Âge, les espaces traversés par l’Adour et ses affluents les plus importants sont dominés par villes, châteaux ou abbayes contrôlant tout à la fois terre et fleuve. Les villes sont peu nombreuses : Aire, Dax dont les fondations sont attestées depuis l’Antiquité, Mont-de-Marsan, fortifiée au début du XIIe siècle à la confluence entre le Midou et la Douze, et Tartas dont la vicomté se structure entre le Xe et le XIIIe siècle à proximité de l’Adour et de la Midouze.
En milieu rural châteaux et abbayes maillent le territoire en particulier au sud de l’Adour.
Fondées dans le courant du XIVe siècle les bastides, comme Grenade-sur-l’Adour, complètent ce dispositif de contrôle. Villes, bastides et châteaux sont l’enjeu d’âpres combats, entre Anglais et Français au cours des XIIIe et XIVe siècles, puis pendant les guerres de religion au XVIe siècle et la Fronde au XVIIe siècle. Ils inscrivent l’histoire de cet espace dans l’histoire nationale. Jusqu’à la Révolution, les seigneurs, laïcs ou ecclésiastiques, exercent un pouvoir à la fois militaire, politique et économique sur l’Adour ou ses affluents et leur espace riverain. Au XVIIIe siècle et après la Révolution, d’autres châteaux sont construits sur les berges en particulier du Bas Adour, par de riches bourgeois, témoignant ainsi de manière ostentatoire le pouvoir économique exercé par les villes et la réussite de négociants et d’armateurs. On trouve ce type de demeure, ces « folies », à proximité de toutes les grandes villes portuaires du littoral atlantique.
Dès le Moyen Âge, ces seigneurs, riches propriétaires terriens, participent à la mise en valeur de leurs possessions en favorisant le développement des activités agricoles par le métayage et le fermage. Ils organisent l’espace pour favoriser le nécessaire accès à l’eau, n’hésitant pas à intenter procès et à se défendre en justice pour protéger l’utilisation de la ressource. Tenant compte des évolutions du lit de l’Adour et des possibles crues, l’habitat rural est situé le plus souvent à bonne distance du fleuve et les espaces riverains se partagent en champs disposant d’un accès direct à l’eau ou en espace de réserve dans les lits mineurs ou abandonnés par le fleuve. Sur les rives basses on observe souvent des champs laniérés, étroits et longs ; dans les saligues, les habitants peuvent trouver du bois ou envoyer le bétail paître ; les barthes, aménagées avec drainage et contrôle des eaux par des portes, servent de prés pour l’élevage. Ces propriétaires construisent aussi moulins et pressoirs dont ils tirent profit par droit de ban, contrôlent les nasses pour la pêche, la circulation des hommes et des produits qui traversent l’Adour en appliquant des péages sur les gués, les bacs, les ponts et sur la navigation fluviale. Les négociants de Bayonne au début du XVIe siècle se plaignent de la rapacité de ces « seigneurs de l’eau » qui font renchérir le coût de la navigation et donc des produits. Le pouvoir royal leur donne raison et engage les seigneurs à plus de modération. Certains droits de péage, en particulier sur les ponts, sont conservés après la Révolution pour faire face à l’investissement nécessaire à certains aménagements.
La nécessité d’entretenir berges et lit des cours d’eau s’imposent aux populations riveraines. De nombreux obstacles naturels, dus pour l’essentiel à l’effet d’entraînement de l’eau, gênent la navigation en encombrant le lit ou les rives du fleuve ; en effet l’eau courante transporte de nombreux débris qu’elle arrache à la montagne, qu’elle modèle pendant le transport et abandonne dans les différents lits lorsqu’ils sont trop lourds par rapport au débit ou lors des étiages, et auxquels s’ajoutent divers débris végétaux. Très tôt les négociants se plaignent ; ils en appellent au Roi dès le XVIIe siècle et en 1733 est créé, dans le ressort de l’intendance, le poste d’ingénieur des rivières flottables et navigables chargé de l’inspection des cours d’eau importants ; ce sont les ancêtres des ingénieurs des Ponts-et-Chaussées départementaux. Les communautés villageoises, puis les communes sont chargées de l’entretien. L’extraction des alluvions abandonnées par le fleuve, sur les rives ou dans le lit mineur, est très ancienne ; selon leur taille, fines particules ou galets, ils peuvent servir à amender les sols mais aussi à la construction, chemins ou maisons.
Si l’entretien du chenal de circulation est important, l’entretien des chemins de rive l’est tout autant. Par coutume il existait une servitude de marchepied qui imposait un accès aux rives aux navigants et aux personnes en détresse ; il était interdit aux propriétaires de planter et de clôturer ces espaces de servitude qui peuvent dans le cas de cours d’eau navigables servir de chemin de halage. Ce droit coutumier est à l’origine de l’Ordonnance royale sur les Eaux et Forêts de 1669. Ainsi débute l’historique de la législation sur les rives des cours d’eau qu’ils appartiennent au Domaine ou à des propriétaires privés.
Malgré cet arsenal législatif, les chemins de rive sont l’objet de plaintes permanentes des bouviers, gabarriers et maîtres de bateaux, car ils sont encombrés ou présentent des glissements de terrain particulièrement après des crues, ce qui entrave la circulation des attelages de bœufs halant les bateaux à la remonte. Lorsque les obstacles étaient trop importants les bouviers devaient changer de rive, trouver un gué ou passer le fleuve à la nage ce qui n’était pas sans risque surtout quand les bateaux étaient lourdement chargés avec du sel.
Le château de Sault, près de Sault-de-Navailles, est construit sur une élévation naturelle, au bord du Luy de Béarn au XIIe siècle ; il relève du Duché de Gascogne mais au XIIIe siècle, les Anglais et les Gascons disputent aux Béarnais la possession de ce château fort à la position stratégique dont le donjon permettait d’observer un vaste territoire. Ce donjon est détruit en 1263 à la suite de la prise du château par les Anglais. Un siècle plus tard le château est pris par le duc d’Anjou et revient dans le giron français. La tour s’est effondrée en février 2021 au passage de la tempête Justine.
L’abbaye de Saint-Jean de la Castelle a été fondée au XIe siècle sur la rive gauche de l’Adour, dans un lieu isolé. Reprise par l’ordre des Prémontrés, elle est protégée par le vicomte de Marsan et comte de Bigorre dès 1140. Les religieux mettent en valeur le territoire, agriculture, meunerie et contrôlent le passage sur l’Adour, la présence de lits anastomosés favorisant la présence de gués et donc les traversées. L’abbaye a beaucoup souffert des guerres de religion dans la deuxième partie du XVIe siècle. Un incendie la ravage en 1728 ; reconstruite, elle est sécularisée pendant la Révolution.
Construit dans la première moitié du XVIIIe siècle, en face du village d’Urt, le château de Montpellier est une demeure de plaisance appartenant à une riche famille de négociants de Bayonne qui accède à l’échevinat en 1725.
Ce plan, dressé pour servir d’argumentaire lors d’un procès n’utilise pas les règles cartographiques usuelles puisque l’Adour y coule de gauche à droite et que l’église Sainte-Eulalie se trouve réellement au nord de l’Adour. Les conventions d’orientation doivent donc être inversées pour resituer ce plan dans son contexte géographique. On peut repérer la confluence du Bahus et de l’Adour au moulin de Cachon dans un secteur de divagation du lit de l’Adour avec présence d’îles, de saligues et de bancs de graviers. Elle est dotée de nombreux aménagements, certains réalisés par les religieux : digues, moulins. A proximité se trouvent aussi les terres et vignes de l’hôpital ainsi que le jardin des bénédictins. On trouve aussi mentionnées des terres appartenant à différentes caveries, propriétés de petits seigneurs.
Sur la rive droite de l’Adour à Saint-Sever, un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants autour des cailloux, du wagonnet et des rails, et derrière des huttes en paille qui servent d’habitat provisoire sur la rive, au plus près du lieu d’activité, pour la main d’œuvre et les familles. A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, l’extraction des cailloux connaît une évolution technique importante. D’une extraction manuelle pratiquée par les hommes, les femmes et même les enfants, on passe à une extraction mécanique avec une main d’œuvre moins nombreuse et exclusivement masculine. Cette exploitation augmente considérablement après la Seconde guerre mondiale et impacte sensiblement l’hydrosystème de l’Adour.
Avec l’installation de la IIe République, la Justice cherche à codifier les droits coutumiers réglant certaines relations en particulier entre propriétaires et métayers. A défaut de texte législatif ou réglementaire, les tribunaux s’appuient localement sur ces Usages locaux. On trouve ainsi le devoir d’entretien et de curage des canaux qui doit s’effectuer dans ce canton de mars à mai avec une distinction pour les canaux à eaux dormantes que l’on doit nettoyer tous les ans, ou à eaux de source vive seulement une fois tous les deux ans. C’est au métayer ou au fermier qu’incombe cette tâche, et s’ils font défaut, ils sont condamnés à une amende quotidienne pour payer un ouvrier.
A Saubusse, le chemin de halage longe la rive droite en léger surplomb du fleuve. L’influence de la marée s’y fait ressentir encore fortement. Il faut attendre la renverse, c’est à dire la marée montante pour entamer la remonte qui peut s’exercer avec le flot, à la voile et surtout par le halage. Le halage à la main (shirga en gascon) avec un équipage d’hommes ayant été interdit en 1837, ne subsiste plus que le halage à la cordelle avec un attelage de bœufs conduits par des bouviers. Les bêtes étaient ferrées pour favoriser leur marche. En amont de Dax, la remonte est plus difficile, l’influence de la marée ne se faisant plus sentir.
Travailler la terre
Occupant en majorité un espace de plaines et de collines, le bassin de l’Adour apparaît comme un ensemble de régions agricoles affirmées. Depuis le Néolithique, élevage puis productions végétales y ont toujours été bien présents. Cependant, entre vallées montagnardes (Adour, gaves, rivières basques), pays de piémont et contrées plus septentrionales des Landes de Gascogne (traversées par la Gouaneyre, l’Estrigon ou le Bès), des différences se remarquent.
Les géographes des années 1930-1960 s’intéressent beaucoup aux paysages hérités de l’histoire de l’occupation du sol, aux genres de vie des habitants, aux types d’habitat : champs ouverts ou bocages de pays encore très ruraux, gens de la terre ou ouvriers-paysans d’une société basculant vers l’industrialisation puis la tertiarisation, habitat groupé ou dispersé, et bien d’autres nuances faisant la marqueterie et un peu l’âme des contrées hexagonales et d’ailleurs. Cependant, les transformations de l’économie et des modes de vie depuis les années 1960 modifient les productions et les orientations agricoles et, partant, les paysages ruraux. L’agriculture devient résolument productiviste et change les horizons : vastes hangars et ateliers de production fonctionnels, raréfaction des haies, immenses parcelles d’exploitation avec pivots d’irrigation, aménagements de lacs collinaires…
Dans la période protohistorique, les landes ou gèrts du Béarn, du Tursan ou de la Chalosse étaient parcourus par des populations largement tournées vers le pastoralisme. Depuis le Moyen Âge, le blason du Béarn porte, dès l’origine de la vicomté, deux vaches (vaquetas) rappelant le rôle de l’élevage dans la vie économique ancestrale de ce territoire, tant dans les vallées montagnardes que dans les terres plus basses.
Décrivant le paysage des Landes au début du XXe siècle, le célèbre voyageur Ardouin-Dumazet (1852-1940) estime que la Chalosse « est vraiment riante par la variété de ses cultures au milieu desquelles s’éparpillent les métairies, car le paysan préfère l’habitation sur son champ à l’existence au milieu d’un village. […] La caractéristique du pays, c’est que ces petits domaines, déjà jalousement clos de talus complantés, semblent séparés par les landes ». À l’opposé, décrivant la contrée au nord de l’Adour, il « court à travers les solitudes rarement interrompues par quelques maisons à carcasses de poutrelles emplies de torchis […] ».
Demandées aux instituteurs des Hautes-Pyrénées en 1887, les monographies communales abondent en détails, statistiques aidant, sur les diverses productions dans la plaine de Tarbes ou dans les autres cantons bigourdans. Ainsi, l’instituteur Barthet, dans sa monographie de Hiis, riveraine de l’Adour entre Bagnères et Tarbes, décrit la polyculture de ce finage (le territoire même de la commune) dans lequel figure l’élevage de juments poulinières destinées à la remonte organisée par les haras de Tarbes. Une tradition qu’on retrouve en maints endroits de ce piémont pyrénéen et qui a justifié le décret impérial de 1855 imposant l’aménagement du canal d’Alaric utilisé essentiellement pour l’irrigation des prairies en contre bas par tout un système de rigoles permettant d’intensifier les herbages. De même, au début du XXe siècle, l’élevage de chevaux dans les barthes de l’Adour a-t-il encore une réelle importance.
Se fondant sur un passé moins lointain mais inscrit cependant dans le temps long, le géographe Louis Papy observe qu’aux Landes de Gascogne sablonneuses et pauvres s’opposent les pays du sud de l’Adour : « Les paysans et les bergers de la lande d’autrefois enviaient ceux d’au-delà du fleuve, mieux nourris et plus corpulents, habitants d’une terre qui leur semblait bénie. » En effet, en Tursan et en Chalosse, d’Aire-sur-l’Adour à Montfort-en-Chalosse et Pouillon, le paysage change ; disposées en longues bandes sud-est-nord-ouest, les collines accrochent les petits villages et les fermes dans le damier irrégulier des champs et des bosquets.
Après 1945, économistes novateurs et “aménageurs du territoire condamnent la traditionnelle “polyculture aquitaine”. Dès lors, les orientations agricoles des pays de l’Adour évoluent assez vite.
Le maïs relègue au second plan les céréales classiques (froment, seigle, millet). L’origine américaine de cette plante miraculeuse, arrivée au XVIe siècle des Indes occidentales par les ports espagnols et par Bayonne, l’a fait appeler de diverses façons : indon dans le Bas-Adour (Seignanx, Pays d’Orthe), blat d’Espanha aux confins du Bazadais, milhàs ou milhòc (littéralement « gros mil ») en Chalosse ou en Grande Lande. Liée initialement aux conditions climatiques du piémont occidental des Pyrénées (été chaud avec pluviosité orageuse), la plante nourricière se cantonne d’abord au rôle de céréale secondaire ou complémentaire, appréciée cependant par les paysans pour son aptitude à nourrir avantageusement les volailles. Cependant, même si le « Grand roux basque » et d’autres variétés font l’admiration de tous lors des comices chalossais ou béarnais, la plante demeure d’usage limité. Une révolution culturale et économique intervient après 1945 avec la généralisation des maïs « américains », hybrides aux rendements élevés. Les États-Unis d’Amérique imposent alors leur puissance et le Béarnais Louis Bidau, président de l’Association générale des producteurs de maïs de 1949 à 1973 joue un rôle certain. Avec la première politique agricole commune mise en place par la Communauté Économique Européenne (années 1960 et 1970), le monde agricole basque, béarnais, gersois ou landais, se met à défricher gèrts et tojars afin de cultiver la plante dont l’élevage et les industries agro-alimentaires deviennent friands. La demande est dopée : besoins en farines et fourrage pour l’alimentation animale, utilisation de l’amidon pour de multiples usages industriels. Fustigeant cette évolution et la course aux rendements, le poète gascon Gilbert Narioo peut ainsi écrire dans Milhoquèra :
“Que m’i hei com un hòu tà aver rendament, Vivi tà tribalhar, tribalhi pas tà víver, Vaga pas de cantar, vaga pas mei d’arríder : Cuu-machat suu tractor de dia com de nueit, Soi hart de mau, de hum, vente plen, mes cap vueit. « Je me donne comme un fou pour obtenir du rendement, Je vis pour travailler, je ne travaille pas pour vivre, Je n’ai plus le temps de chanter ni de rire, Reins brisés sur le tracteur, de jour autant comme de nuit, Je n’en puis plus de mal, de fumée, le ventre plein mais la tête vide.”
(in “Le Béarn, témoignages sur mille ans d’histoire”, M. Grosclaude, Per Noste, 1979).
Au nord de l’Adour, dans les Landes de Gascogne, marquées par les grands incendies des années 1940, les vastes interfluves aux nappes phréatiques très accessibles sont largement transformés par cette puissante agriculture céréalière productiviste. Venus majoritairement du Bassin parisien, des agriculteurs défrichent, creusent de profonds fossés de drainage, comblent les lagunes, arrosent généreusement les variétés chaque année proposées par les semenciers. Les fermes donnent bientôt un air de Middle West aux défuntes landes des bergers d’Arnaudin. Plus à l’est ou au sud, au creux des vallons et des croupes du Bas-Armagnac ou du Tursan, se multiplient les retenues collinaires pour garantir l’irrigation. Silos et coopératives, évoluant plus tard en groupes puissants, contribuent à changer structures agraires, filières agro-alimentaires (dont le kiwi autour de Peyrehorade ou la production porcine liée, entre autres, à l’Indication géographique protégée “Jambon de Bayonne”) ...et mentalités.
Parallèlement, la filière du « gras » (foie, magret et multiples préparations culinaires à base de canard) prend son essor après 1970. L’élevage des oies (aucas ou aucats), plus difficile à conduire, se fait plus rare que jadis, quand il faisait partie des scènes pittoresques dans les barthes de l’Adour, lorsque Le Cuisinier landais évoquait les savoureuses recettes élaborées dans les bonnes maisons bourgeoises de Dax. En Chalosse ou dans les confins du Gers, la mise en oeuvre des principes de l’industrie appliqués à l’industrie agro-alimentaire entraîne l’intensification des élevages, change le paysage rural, les structures d’exploitation et, au final, le mode de vie d’une paysannerie familiale désormais reléguée au passé. « On suit la voie du progrès », dit-on. Sans imaginer alors les contraintes du modèle économique impulsé des hautes sphères. Ni les risques environnementaux ou sanitaires, que fait courir l’abandon d’une certaine polyculture équilibrée mais qui paraît arriérée et contraire à la modernité.
Liée à la civilisation antique et à la religion chrétienne, la vigne a toujours eu une large présence dans le bassin de l’Adour. Sans remonter à la pars rustica des villas antiques (Lalonquette en Béarn dans la vallée du Gabas, Augreilh à Saint-Sever, Sorde-l’Abbaye...), on sait que les vignobles ont longtemps compté dans les campagnes gasconnes. La microtoponymie le révèle souvent, même si la viticulture a aujourd’hui disparu. À Larrivière-Saint-Savin (Landes), par exemple, le cadastre napoléonien indique plusieurs parcelles du type La Bigne, La Plante, Pachera (paisherar, “parcelle échalassée”) ou Piquepout (picapoth, “cépage donnant du raisin blanc”).
Au temps du duché d’Aquitaine et de la vicomté de Béarn, les vins des costalats (coteaux), de Chalosse ou du Tursan, s’ils ne sont pas consommés sur place, gagnent Bayonne et Capbreton pour partir vers l’Angleterre. Laurède, Mugron ou Saint-Sever sont des points de transbordement importants avant la descente des tonneaux par voie fluviale.
À la fin du XVIIe siècle, les « vins brûlés » (brandewijn pour les Néerlandais, brandy en anglais) sont appréciés. Concurrencées par celles de Cognac et bientôt par le rhum des Antilles, les eaux de vie d’Armagnac sont prisées par les équipages français, hollandais ou autres. Cette aiga de vita ou aigardent, embarquée à Mont-de-Marsan, en de précieuses « pipes », sur galupas ou shalibardons, descend la Midouze pour être livrée à Bayonne. Néanmoins, certaines cartes du XVIIIe siècle montrent que le vignoble est présent aussi sur la côte assez instable du Marensin ou de la Maremne, voire sur les sables de la paroisse d’Anglet. Outre la production de vin, les ceps contribuent à fixer les dunes exposées à l’érosion éolienne. Le vin de sable jusque dans les années 1980 demeure un vignoble résiduel, une survivance, du côté de Messanges, Moliets-et-Maâ ou Lit-et-Mixe. La production a été néanmoins relancée, notamment dans une partie des dunes de Capbreton. L’Imne landés, composé par Miquèu Gieure (1890-1962) assure plaisamment dans l’un de ses couplets :
« Puish que la taula rend aimable E hè tanben arrevisclar, Chucam, chucam lo vin de sable Entà cantar, entà cantar ! » (Puisque la table rend aimable Et fait aussi ressusciter, Buvons, buvons le vin de sable Pour chanter, pour chanter !)
De leur côté, les vignobles de l’appellation Jurançon, en Béarn, sur les hauteurs d’Arbus, La Chapelle-de-Rousse, Monein ou Saint-Faust, ceux d’Irouléguy, en Basse-Navarre (vallée de la Nive), du Tursan (région de Geaune), de Madiran (à cheval sur le Vic-Bilh béarnais et le pays de Rivière-Basse) ou de Saint-Mont (vallée de l’Adour gersois), manifestent eux aussi un dynamisme réel, fondé sur la qualité et la recherche de judicieux créneaux commerciaux. Longtemps, les pays de l’Adour demeurent des terres de petite paysannerie libre, en Béarn notamment, ou de métayage, partage théoriquement à moitié des revenus de l’exploitation ; d’où le gascon meitadèir, « métayer », littéralement « celui qui partage a meitat, à moitié ». Existent aussi dans les anciens contrats régissant ce mode de faire-valoir indirect, apparu sans doute dès la fin de l’époque médiévale, les termes hasendèr (qui prend la terre pour la faire [verbe har ou héser en gascon] produire) comme dans les haciendas ou fazendas ibériques), colon (surtout en Grande Lande) ou bordilèr (qui met en valeur [et habite] une bòrda, « terre [et bâtiment(s)] de la métairie). Des siècles durant le système perdure sans être remis en cause. Or, dès la fin de la Grande Guerre, surtout dans l’ouest de la Chalosse et en Seignanx, les rapports déjà tendus entre propriétaires et métayers revenus du « Front » s’aggravent. C’est la révolte des Picatarròcs. Elle s’apaise mais la question se poursuit jusqu’à la législation nouvelle (1946), issue en partie du programme du Conseil National de la Résistance. Dans les années qui suivent, en raison bien sûr de la déprise agricole et de l’évolution technique et financière de l’agriculture, le métayage s’estompe au profit du fermage ou d’autres statuts juridiques pour les « entreprises » agricoles.
Prise dans les bas de Péré ou à la confluence du Bahus, cette scène pourrait l’avoir été aussi sur les bords de la Midouze, dans les grandes barthes du Bas-Adour, en Béarn ou en Bigorre. La traction animale tient une place essentielle dans les travaux agricoles. Certes, typiquement landaise est cette appellation de bròs pour ce véhicule à deux roues tiré par deux bueus ou deux vacas tiranèiras, mais la photographie renvoie bien aux temps du pas lent des attelages et de la ruralité profonde, en Gascogne comme ailleurs
A caractère publicitaire, cette carte postale représente un agriculteur de Bégaar. Sans doute dynamique et novateur, il “fait” du maïs. Probablement dans les terres généreuses des barthes. Pour autant il semble un fervent adepte du “cianamide” ou plutôt du cyanamide calcique, utilisé comme engrais. Bien que non datée, cette image semble remonter aux années 1920. Elle illustre cependant deux faits : on produit du maïs et certains y croient, bien avant que la révolution des hybrides américains et la politique agricole commune européenne n’encouragent son développement ; les débuts, alors très timides, de ce que d’aucuns dénoncent plus tard comme la “chimisation” de l’agriculture.
Dans la grande barthe de Saubusse, cette scène pittoresque rappelle que le petit élevage des oies, avant l’émergence de la filière gras centrée sur le canard, fut un complément appréciable de la polyculture pratiquée sur les bords de l’Adour.
La finesse de ce plan du début du XIXe siècle permet de distinguer les tonneaux chargés sur les galupas naviguant sur la Midouze à partir de Mont-de-Marsan.
A observer la ligne d’horizon (hauteurs de Montgaillard ou d’Eyres-Moncube probablement) cette photo a dû être prise du côté de Sainte-Eulalie, en rive droite de l’Adour. Ce chadouf gascon, à la silhouette épaisse, moins effilée que les puits à balancier de la Grande Lande, est appelée ici poleja, “poulie” en gascon. Curieux... Ça doit grincer toutefois quand on relève la hica (perche) et la cap-lèva (contre-poids) puisant l’eau dans la nappe phréatique du lit majeur de l’Adour. Nonobstant la végétation et la paysanne, la scène pourrait avoir été fixée sur les rives du Nil.
Il y a 30 ans, dans les Landes, sur les abords de l’Adour plus exactement, quelques producteurs croyaient au développement d’un kiwi français. Ils avaient raison… Cultivé au pied des Pyrénées par 350 producteurs, le kiwi de l’Adour est le seul kiwi à bénéficier d’un double label (certification officielle Label Rouge et IGP). Il tient sa qualité exceptionnelle du terroir landais : un sol naturellement riche et un climat océanique doux. Ancestralement cultivée en Chine comme plante d’ornement, Le kiwi était utilisé pour lutter contre la fièvre. Importé au début du siècle en Nouvelle-Zélande, le kiwi arriva à la même époque en France en 1904 (à Selva Brancolar près de Nice) et en 1920 (au Jardin des Plantes de Paris). Les chercheurs du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris, après de longues années d’études mirent alors en évidence ses vertus antiscorbutiques et sa teneur exceptionnelle en vitamine C. Aujourd’hui, cette production est devenue le symbole économique de la région. Avec un quart de la production nationale, les Pays de l’Adour représentent aujourd’hui le plus grand terroir kiwicole de France.
Pratiquer la pêche
L’Adour est un fleuve à la ressource halieutique importante. La diversité de ses eaux, douces et salées, la présence des Gaves de Pau et d’Oloron venant des Pyrénées, l’influence des marées ressentie sur plus de 30 kilomètres, constituent un milieu propice au développement et au passage d’une grande variété de poissons. Brochets, esturgeons, jeunes esturgeons, lamproies, tanches, vandoises sont cités dès le Moyen Âge. Il faut y ajouter, mulets, truites de mer, aloses, sars, et bien entendu les amphihalins que sont les aloses, anguilles, esturgeons, lamproies, saumons. Ainsi, cette ressource naturelle a, de tout temps, généré une grande activité de pêche. Le bassin de l’Adour comptait 1500 marins pêcheurs avant la Première Guerre mondiale, plus de 400 bateaux de pêche naviguaient sur le fleuve. Dans l’entre-deux-guerres, 32 pêcheries étaient réparties sur l’Adour entre Dax et Bayonne.
Parmi toutes les activités pratiquées sur l’Adour au cours des siècles, la pêche tient une place essentielle.
C’est aussi l’un des usages les plus anciens du fleuve, puisque son histoire remonte à la Préhistoire, la consommation du poisson devenant significative à partir de la seconde moitié du Paléolithique supérieur. C’est sur le Gave de Pau, que l’on trouve de rares mais bien présentes traces de cette activité. Associée à la chasse et à la cueillette, la pêche est la troisième source alimentaire. Elle se pratique alors à la main, à la lance, au harpon, au filet (au Néolithique et à l’Âge du Fer), au piège, à l’hameçon.
Dès le Moyen Âge, la pêche est très règlementée. D’une part, les rivières « flottables et navigables » ainsi que les droits de pêche sur les cours d’eau sont la propriété du roi. Il concède ses droits aux seigneurs qui les louent ensuite aux communautés religieuses et aux habitants. On ne peut pas installer librement une pêcherie là où on veut. Une pêcherie est un barrage, synonyme localement de nasse ou péchère (paishèra). Principalement destinée à capturer les poissons dont le saumon, l’alose et l’esturgeon, la nasse est constituée de pieux de bois plantés dans la rivière en deux rangées en dents de scies ou en triangle. Les pointes sont tournées vers l’amont pour la rangée amont, vers l’aval pour la rangée aval. Les pieux sont reliés entre eux par des pièces de bois et des branchages afin de laisser passer l’eau permettant de capturer le poisson. Si la nasse barre entièrement le fleuve, elle doit comporter un passage appelé « bocalh », en français « passelis », laissant passer les embarcations et radeaux de bois comme c’était le cas à Peyrehorade ou à Sordes. De nombreux conflits naissent entre propriétaires de nasse, bateliers et pêcheurs. Accusées de piéger du poisson en trop grande quantité, de freiner l’écoulement des eaux au cours des inondations, de compliquer le passage des bateaux, les nasses de l’Adour font, dès la fin du XVIe siècle l’objet d’une demande de destruction. D’autre part, l’Église impose un certain nombre de règles au regard de l’alimentation comme le respect de périodes de « jours maigres », sans viande, qui représentent 146 jours par an. Elle exerce également un pouvoir sur les périodes de pêche. Il est, par exemple, défendu de travailler les jours alloués au repos et aux célébrations des cérémonies religieuses, c'est-à-dire tous les dimanches de l’année et les jours de fêtes religieuses. Il est ainsi interdit de pêcher les jours chômés, du jour de Pâques au 29 juin.
Enfin, la consommation du poisson étant très importante dans la société médiévale, il faut en préserver la ressource. Il est, par exemple, interdit de heurter le bateau ou de le frapper avec un bâton pour attirer le poisson entre Pâques et le 24 août, afin de protéger les jeunes saumons, de pêcher à contre-courant de la Roque d’Ondres à Hourgave entre le 6 janvier et le 29 septembre afin de protéger les alevins.
Les pêcheurs « d’eau douce et d’eau salée », qui exercent souvent une double activité, pêche et agriculture, se regroupent en corporations dès le XIIIe siècle. Ils inventent engins et techniques de pêche qui évoluent et se développent au cours des siècles. Travaillant souvent en équipe pour une pêche plus efficace, les pêcheurs fabriquent eux- même leurs filets, leurs viviers et leurs pièges à poissons. Il est possible de répartir les engins de pêche en deux catégories, les engins fixes et les engins mobiles.
Les engins fixes étaient construits dans des lieux précis, en fonction du passage et de la richesse locale en poissons. C’était les pêcheries (nasses et « paisheras »). On en trouvait plusieurs sur le fleuve et certaines ont fait l’objet de querelles entre bateliers et pêcheurs, telle celle de Saubagnac, non loin de l’île de Mirepech. Cette nasse, autorisée en 1277 par le roi d’Angleterre Édouard Ier, barrait littéralement l’Adour. Elle capturait un nombre considérable de poissons mais faisait aussi obstacle à la navigation et à l’écoulement des eaux. Un conflit éclate entre bateliers et pêcheurs. Plus tard le baro, véritable machine à pêcher le saumon, est probablement inventé par un meunier de Peyrehorade à la fin du XVIIIe siècle. On en trouvait principalement sur les Gaves.
Les engins mobiles étaient principalement constitués par des filets, embarqués sur les bateaux de pêche tels la tilhole (tilhòla) jusqu'à sa disparition et plus récemment le couralin (coralin). D’une grande diversité de fabrication, on les trouvait sous les noms de mangeole (manjòla), trayne (traina), tranie (tranía) ou senne, épervier, lobe (lòba), gome, trémail ou tramail (tramalh), cordeau, palangre, carrelet « tchoup » ou (chop) …
Dès le XVIIe siècle, dans tous les ports du royaume, on commence, à la demande des souverains, à recruter des marins pour les équipages de la Marine royale. Il en est ainsi pour le port de Bayonne. Il faut trouver des hommes qui connaissent la navigation. On recrute alors un grand nombre de bateliers et de pêcheurs de l’Adour qui, outre l’obligation de servir dans la Royale, obtiennent le privilège de la pêche dans les eaux salées et la zone estuarienne. Ce sont les « Inscrits maritimes ». Le recrutement est important et concerne les hommes des rives droite et gauche de l’Adour, des îles et îlots de la juridiction bayonnaise, soit principalement la zone soumise aux influences des marées. Ce recrutement est tel, que le 17 avril 1781, le ministre de la Marine, le Marquis de Castries, alerte sur les risques de dépeuplement en hommes de la zone du Bas-Adour. Les îles sont « dépeuplées en un clin d’œil [ … ] les terres les plus fertiles vont être abandonnées [… ] les laboureurs sont des hommes peu propres au service des vaisseaux ».
Au cours des périodes moderne et contemporaine, la ressource halieutique diminue, les règlementations se succèdent, les techniques de pêche se transforment, les engins évoluent et les pêcheurs doivent s’adapter. Conscient des transformations en cours et à venir, un conseiller municipal de la mairie de Bayonne, Monsieur Frois, suggère, en 1909, de créer une école pour éduquer les enfants à l’évolution des procédés de pêche. Il souhaite également installer un musée de la pêche et de la navigation à l’école de Saint- Esprit, quartier nord de Bayonne sur la rive droite. « Rien n’a été tenté jusqu’à ce jour pour permettre aux enfants de nos écoles et en particulier aux fils des inscrits maritimes d’acquérir certaines connaissances spéciales et de développer chez eux le gout des choses de la mer. Pendant ces dernières années, des changements profonds ont été apportés dans les procédés de pêche ; des industries de reproduction, de capture, et de conservation du poisson se sont créées et développées avec une rapidité surprenante et les méthodes nouvelles ne peuvent être vulgarisées que par des études spéciales qui font chez nous défaut ». Cette proposition n’a pas été suivie d’effet.
L’Homme consomme des poissons (dont le saumon) de manière significative depuis la seconde moitié du Paléolithique supérieur. Pour pêcher, il développe progressivement de nombreuses techniques, la pêche à la main, la fabrication de pièges en branchages, de nasses, de harpons et enfin d’hameçons. Bien que les vestiges de ces instruments de pêche soient rares, les sites préhistoriques du Grand et Petit Pastou sur la commune de Sorde-l’Abbaye, découverts en 1872 par R. Pottier, livrent progressivement des indices des modes de vie de ces populations vivant dans quatre abris sous roche, situés à proximité du Gave de Pau. Parmi les éléments découverts, des harpons. Ces pièces, travaillées dans du bois de cervidé, étaient probablement ligaturées ou insérées au bout.
Les demandes d’établissement de cale pour la pêche (pêcheries) ou de changement de position des cales sont courantes et parfois accompagnées d’un plan comme celui présenté ci-dessus.
La prise en compte des ressources halieutiques et la préservation des poissons et des alevins est indispensable au maintien de la pêche. Dès le Moyen Âge, la gestion des ressources fait l’objet d’une règlementation.
Au début du XXe siècle, le sujet est toujours d’actualité. Ce rapport du conservateur des Eaux et Forêts en 1901, témoigne des recherches et des règlementations concernant la pibale et les anguilles. Après avoir certifié que la pibale est bien l’alevin de l’anguille, le rapport préconise la taille des mailles de filets que l’on doit respecter pour leur pêche et confirme l’interdiction de cette pêche décidée par arrêté préfectoral. Il précise également que « tant au point de vue de l’alimentation qu’au point de vue économique, il y a tout intérêt à protéger l’anguille qui est un poisson très résistant, de première qualité et qu’il serait regrettable de voir détruire par milliers les alevins de poissons aussi intéressants et aussi appréciés que l’anguille. »
Le baro est un engin ou pêcherie fixe longtemps utilisé sur la Nive et les Gaves de Pau et d’Oloron pour capturer le saumon, la lamproie et l’alose. C’est une construction composée d’un plancher sur pilotis, le « chantier », relié à la berge et d’un axe qui entre en rotation grâce à la force du courant exercée sur des palettes de bois. Des filets servant à capturer le poisson sont installés sur cet axe. Lorsque le baro entre en rotation sous la pression de l’eau, à l’aide des palettes, les filets entrainés par ce mouvement rotatif, pénètrent les uns après les autres dans l’eau. Le poisson remontant le courant est « cueilli » par un des filets. Lorsque le filet remonte et arrive au niveau du plancher, le poisson tombe dans une glissière qui le conduit dans un panier. Un baro qui fonctionne bien, fait au moins trois tours, voir huit par minute, et la pêche peut être très fructueuse. En 1899 les sept baros de Peyrehorade ont capturé 1302 saumons pour un poids total de 7269 kilogrammes.
Sur l’embarcation un couralin ; des pêcheurs posent en présentant leur filet et leur prise. Accroupi et de dos, un autre pêcheur tient une extrémité du filet, une traine. En premier plan, un pêcheur manœuvre un cabestan.
La pêche à la traine nécessite cinq à sept pêcheurs. Un pêcheur, sur la rive, tient une extrémité du filet. L’autre extrémité est accrochée au bateau. Le filet est progressivement déroulé en travers du fleuve, au maximum sur ses deux tiers. Le couralin effectue alors un mouvement en arc de cercle afin de refermer le filet et d’en ramener l’extrémité un peu plus bas sur la rive. Les pêcheurs tirent alors l’ensemble du filet vers la rive afin de récupérer le poisson pris dans sa « boucle ». Cette manœuvre nécessite une grande force car le filet est lourd, il peut peser200 à 300 kilos, si la pêche a été fructueuse. Pour cela les pêcheurs s’aident d’un cabestan, sorte de treuil, tambour ou « tourniquet » posé à l’horizontal sur un axe. Quatre hommes prennent chacun appui sur un levier, qu’ils poussent ensemble dans le même sens. Le « tourniquet » effectue un mouvement rotatif et enroule la corde reliée au filet. Ainsi, par la force combinée des quatre hommes, le filet peut être plus aisément hissé.
Utiliser le courant
Si on connaît aux fleuves et aux rivières des utilisations immédiates avec la pêche et l’irrigation pour l’agriculture qui ont favorisé l’installation précoce des hommes dans leur proximité, des activités, autres qu’alimentaires, ont utilisé le courant de l’eau comme élément d’entraînement et son énergie mécanique pour la convertir en énergie thermique ou électrique après les révolutions industrielles du XIXe siècle. Sur les bords de l’eau se côtoient des petits métiers, des entreprises artisanales puis industrielles qui nécessitent certains aménagements et dont les modes de production peuvent provoquer des conflits d’usage entre les riverains. Certaines de ces activités disparaissent au fur et à mesure du temps, rejetées parce que la population riveraine n’en supporte plus les nuisances ou concurrencées par d’autres plus rentables ou récemment apparues avec le développement des techniques.
Les lavandières font partie du paysage du fleuve. Qu’elles s’occupent du linge de leur maison, de celui du propriétaire auquel appartient leur métairie, de celui des auberges ou des grandes maisons, elles le lavent dans les ruisseaux, les affluents ou même le fleuve où certains aménagements rudimentaires sont quelquefois mis en place. Petite lessive tous les deux mois ou grande lessive tous les ans : les draps de lin ou de chanvre, les torchons, les serviettes, les vêtements ont été préalablement frottés avec une brosse en chiendent et du savon puis laissés à tremper une journée dans un cuvier au fond duquel on a étalé une épaisse couche de cendres et qu’on a alimenté en eau bouillante. Le linge est rincé ensuite dans l’eau courante. À partir des années 1850, sous l’influence des médecins hygiénistes, les lavandières commencent à disposer dans les bourgs de lavoirs alimentés par des sources dont on peut mieux contrôler l’eau. La IIe République soutient cette initiative en aidant financièrement les municipalités pour ces constructions.
Plus concentrées dans les bourgs et même les villes comme Mont-de-Marsan, Dax ou Bayonne, les activités de tannerie s’établissent près de cours d’eau. Le débit doit néanmoins être suffisant pour entraîner les déchets. Le tannage, qui dure de 12 à 18 mois et consiste à transformer les peaux en cuir en remplaçant les molécules d’eau contenues dans les peaux par des tanins, est une opération complexe. La première étape appelée le travail de rivière car les peaux arrivées fraîches, salées ou desséchées sont trempées dans le cours d’eau pour les ramollir (reverdissage) avant d’enlever les poils puis les restes de chair, débris qui sont entraînés par le courant. Les opérations suivantes, trempage dans du lait de chaux, macération pour enlever la chaux, immersion dans des bains de tanins végétaux de plus en plus concentrés, utilisent le courant pour entraîner tous ces différents produits qui s’écoulent dans la rivière ou le fleuve en dégageant des odeurs fortement nauséabondes.
Les populations qui habitent à proximité se plaignent constamment de ces remugles, de la présence de débris de l’écharnage et de la couleur de l’eau par les tanins. Dès 1810, la loi tente de réglementer ces nuisances et cette activité, perçue comme sale, est repoussée dans les quartiers les plus pauvres puis à la périphérie des villes. Avec l’amélioration des techniques, comme le remplacement des tanins végétaux par des tanins chimiques dès le début du XXe siècle, la production évolue avec une concentration de ces activités dans certaines régions françaises et la disparition des petits ateliers locaux.
Sur la plupart des rives des cours d’eau la présence des moulins est ancienne. Leur nombre dépend de l’activité agricole et de la densité de population de l’espace qu’ils desservent (à la fin du XVIIIe siècle on compte 1 moulin pour 300 habitants dans le département, soit 584 moulins en 1790).
Il est la première invention de l’homme permettant d’utiliser la force motrice d’un élément naturel et dans les premiers temps il sert d’abord à moudre les grains de céréales pour en faire une farine que l’on peut panifier ou consommer en bouillie. Sur les bords de l’Adour et de ses affluents ces moulins à eau utilisent la force du courant pour faire tourner une roue, horizontale ou verticale, qui actionne une meule mobile contre une meule immobile ou « gisante » ; entre les deux pierres, le grain écrasé par cette rotation se transforme en farine. Coûteux à la construction et à l’entretien, les moulins, avant la Révolution, sont la propriété de la noblesse et des communautés religieuses qui en ont le monopole et jouissent du droit de ban qui oblige les habitants à s’en servir contre des redevances qui assurent des revenus importants. Après la nuit du 4 août 1789 et la suppression des privilèges, la confiscation des biens de l’Église du 2 novembre 1789 et la vente des biens nationaux, la possession d’un moulin devient le droit de tous ceux qui en ont les moyens. Leur nombre déjà très important en 1789 augmente considérablement jusqu’au milieu du XIXe siècle puis diminue vers la fin du siècle jusqu’à l’interdiction de construction en 1935. L’activité de transformation des grains se concentre alors dans des minoteries aux capacités plus importantes car les meules y sont remplacées par des cylindres et l’énergie hydraulique par l’électrique.
Au début du XIXe siècle, les forges en activité sont localisées hors du bassin versant de l’Adour et dirigées par des maîtres de forge dynamiques et entreprenants qui vont chercher à valoriser les ressources minières de la rive droite de l’Adour en construisant des forges utilisant les ressources locales : minerai, charbon de bois, énergie hydraulique pour produire fonte et fers. Soutenue par une demande de munitions (bombes, boulets) et de fers pour le port de Bayonne, ses arsenaux, la métallurgie landaise se développe tout en conservant ses productions traditionnelles.
Sur le territoire de Saint-Paul-lès-Dax, dans la décennie 1830, Bertrand Geoffroy remet en valeur la forge d’Abesse à l’arrêt depuis 1786, et celle de Poustagnac ; Dubourg qui possède déjà le site de Castets fait construire celle de Ardy ; Dominique Lareillet, maître des forges d’Ychoux puis de Pissos obtient le droit de faire construire celle de Brocas. Après 1840 malgré une croissance qui reste relative, d’autres forges s’installent : Saint-Justin en 1846, Buglose en 1848 et Sainte-Hélène à la limite de Saint-Pierre-du Mont et de Mont-de-Marsan en 1864. Malgré un sursaut pendant la guerre de 1870 du fait de l’invasion du nord de la France, les forges landaises entrent en déclin avec la concurrence des « pays noirs » du nord de la France, du traité de libre-échange avec l’Angleterre en 1860, de la diminution du minerai qu’il faut faire venir du Périgord et du remplacement du charbon de bois par la houille. En 1882, la Compagnie des Hauts fourneaux, Forges et Aciéries de la Marine et des Chemins de Fer installent un établissement chevauchant les territoires des communes du Boucau et de Tarnos. Cette « sidérurgie sur l’eau » s’approvisionne en minerai espagnol et algérien et en houille anglaise et allemande. L’utilisation des ressources locales trouve ses limites avec l’arrêt de l’extraction du minerai landais en 1890 et la fermeture progressive des forges des Landes de Gascogne. Seules demeurent les forges du Boucau. Il y a eu littoralisation de cette activité qui au XIXe siècle a accompagné la première révolution industrielle et la révolution des transports.
Dans la commune de Saint-Sever, à l’écart du bourg, sur un petit ruisseau à proximité de la maison, une lavandière (Ua lavadora en gascon) lave le linge. Avec la sellette (tauleta, taulòta) et le battoir en bois (batadèr) on rince le linge dans le courant. Travail pénible dont les mains gercées et rougies et le dos douloureux des lavandières témoignent. L’eau de ce petit ruisseau que longe un chemin boueux ne paraît pas très propre mais cette photographie prise au début du XXe siècle montre bien la persistance de certains usages malgré les admonestations médicales et politiques.
Après le tannage et le corroyage où on a battu les cuirs pour les assouplir et enlever leurs plis, on obtient un produit imputrescible, souple et résistant à l’eau que l’on met à sécher dans de grands bâtiments. Les tanneurs marquent alors leurs cuirs de différentes manières selon que les peaux ont été importées, qu’elles sont envoyées au séchoir ou qu’elles en sortent, et qu’elles sont destinées à sortir du Royaume. Ici il s’agit de marques de tanneurs d’Hagetmau et de Dax ; dans cette dernière ville les tanneurs sont installés le long de l’Adour en amont du pont sur la rive droite, dans le quartier du Sablar.
Dans la commune de Créon, sur le ruisseau de la Peyre affluent de la Douze, alimenté par des sources sur la propriété de Monsieur Jaurey, dès 1808 une digue avec déversoir a été mise en place afin de constituer un étang de pêcherie. En 1817 le propriétaire demande l’autorisation de construire un moulin mais en 1819 des plaintes consignées dans un procès-verbal Commodo et Incommodo, par des habitants en aval qui souffrent du manque d’eau surtout pendant les sécheresses et reprochent au moulin un fonctionnement limité. En 1825 l’ingénieur des Ponts et Chaussées se déplace afin d’établir un rapport et des plans relatifs au moulin. Sur la base de ses conclusions l’autorisation pour l’établissement du moulin est donnée et une négociation autorise les plaignants à laver leur linge dans l’étang ainsi qu’à y faire boire leurs bestiaux. Pour l’eau destinée à la consommation humaine, ils peuvent utiliser la fontaine d’Audrivet.
L’histoire du moulin de Sorde est emblématique. L’abbaye bénédictine de Sorde est fondée au Xe siècle sur l’emplacement d’une ancienne villa gallo-romaine. Les moines font construire un moulin et à cet effet détournent l’eau d’un bras du gave par un canal. Malgré quelques vicissitudes au cours des siècles, guerres et destructions, le dynamisme des moines rend l’abbaye florissante jusqu’à la Révolution ; la congrégation est alors chassée et le moulin est acheté en 1807 par un laïc qui se fait reconnaître le droit de propriété et de fonctionnement par le préfet en place, Valentin Duplantier, qui prend à cet effet deux arrêtés préfectoraux.
Dominique Lareillet choisit Brocas pour y installer une nouvelle forge à cause de la présence de garluche exploitable dans des mines à ciel ouvert, du charbon de bois disponible grâce aux forêts avoisinantes. L’établissement est installé sur l’Estrigon, affluent de la Midouze sur lequel on a construit un barrage de retenue avec une chute d’eau fournissant l’énergie nécessaire au martinet. À proximité se dresse le haut fourneau dans lequel s’accomplit la fusion du minerai ; la fonte s’écoule dans des rigoles où, avec le refroidissement, elle prend en masse dans des moules aux formes différentes. La production de Brocas est variée : outils, instruments ménagers, ustensiles de cheminée, éléments de construction, objets décoratifs et de culte. La cloche à repasser était utilisée pour garder les fers au chaud. Toute la production moulée des forges de Brocas était marquée du signe de la pomme de pin qui la rendait identifiable.
À l’embouchure du fleuve, les Forges de l’Adour se développent très rapidement. Société anonyme au capital de 20 millions de francs, l’établissement ne ressemble pas aux forges landaises. En 1900 il dispose de 2 hauts fourneaux, de 2 convertisseurs Bessemer ; 200 ouvriers produisent plus de 70.000 tonnes de fonte et 110.000 tonnes d’acier. L’entreprise marque son emprise sur le paysage urbain avoisinant avec ses logements ouvriers. Politiquement, à partir de 1920 les populations des deux cités sont très influencées par le jeune Parti Communiste Français.
Prier et guérir
Le département des Landes est riche d’un très grand nombre de sources aux propriétés remarquables et 85% d’entre elles appartiennent à l’espace du bassin versant de l’Adour, zone densément peuplée.
Les fontaines miraculeuses
A part quelques fontaines se trouvant en milieu urbain (Aire-sur-l’Adour, Saint-Sever et Dax), l’essentiel, à plus de 95%, se trouve en milieu rural, dans des bourgs de petite importance et souvent même dans des lieux isolés et donc éloignés de tout contrôle civil ou ecclésiastique. Leur situation sur des frontières communales ou paroissiales, et donc sur des limites séparant le « chez moi » de l’extérieur est fréquente ; cette position en lisière du monde policé et du monde sauvage leur confère une dimension symbolique particulière accentuée par une proximité avec la forêt.
Toutes les sources ne sont pas l’objet de dévotion. Il leur faut pour cela une puissance sacrée particulière qui relève de la proximité d’éléments naturels d’origine tellurique, chthonienne ou tout simplement végétale. Dans la fontaine de Sort-en-Chalosse, dont le saint protecteur est saint Georges, furent trouvées des haches votives prouvant une dévotion très ancienne et pré-chrétienne. L’homme a choisi ces sources dans un environnement qui n’en manquait pas, et leur a souvent construit un petit abri, plus ou moins élaboré, leur donnant ainsi le statut de fontaine.
Lors de la christianisation, ces sources sont annexées par le clergé qui ajoute une référence aux saints martyrs. Ainsi, du contact avec le sol de la tête de sainte Quitterie, martyre décapitée du Ve siècle, aurait jailli une source. De nombreuses fontaines lui sont dédiées, et l’utilisation de leurs eaux soulage les maux de tête. Si saint Clair, évêque martyr du IVe siècle au culte répandu dans le midi, soigne les maladies des yeux, saint Eutrope, évêque martyr du IIIe siècle soulage les douleurs de l’appareil locomoteur et redresse les estropiés. Les noms de ces deux derniers martyrs ont un lien direct avec le secours qu’ils apportent aux hommes souffrants. L’ensemble de ces sources définit un espace chrétien, dédié à la prière et aux soulagements des maux, écho de la douleur des saints.
Les propriétés thérapeutiques des fontaines sont révélatrices en creux des malheurs biologiques qui atteignent localement les populations. Ainsi, elles répondent aux pathologies fréquemment observées par les médecins landais des XVIIIe et XIXe siècles : rhumatismes, troubles de l’appareil locomoteur, maladies de peau, maux de tête ou de ventre qui témoignent d’un piètre état de santé.
L’art secourable chrétien organise alors des rituels collectifs pour limiter cette souffrance : processions et prières en particulier lors des fêtes patronales. Ces pratiques communautaires contrôlées par le clergé disparaissent progressivement à partir des années 1950.
Subsistent alors des pratiques individuelles qu’atteste la présence de petits chiffons pendus aux branches d’arbres ou sur les grilles entourant la source. On trempe ce bout de tissu dans l’eau, on s’en frotte la partie malade ; puis on l’accroche en prenant soin de ne pas en toucher d’autres car il peut y avoir contamination et donc aggravation du mal. La propreté de certains témoigne de la fréquentation actuelle de ces sources.
Certaines pratiques étaient et restent solitaires et probablement secrètes en particulier quand elles concernent des maux féminins.
Eaux thermales, pouvoir médical
Aux sources du thermalisme, des eaux aux propriétés spécifiques dont les médecins prennent peu à peu le contrôle. Les eaux minérales sont des eaux souterraines présentant une concentration stable et particulière de sels minéraux dissous ; elles sont dites « thermales » lorsqu’elles ont une température supérieure à 30°C.
Lors de l’Exposition universelle de Paris en 1889 où est présentée la tour Eiffel, le pavillon des eaux minérales propose un catalogue où sont répertoriées les propriétés chimiques de ces eaux. Celles de Dax, d’une température proche de 60°C, peuvent être chlorurées sodiques aux Salines, sulfureuses aux Baignots, sulfatées-calciques à la fontaine de la Néhe.
Savoir scientifique et prouesses techniques, tout concourt à l’amélioration de la santé, du bien-être en cette fin du XIXe siècle.
À la fin du siècle précédent, les autorités ont cherché à recenser le potentiel hydrominéral de la France et la zone pyrénéenne (piémont compris) se révèle très riche puisqu’elle concentre plus d’un tiers des sources de la métropole en 1843 ; la géographie thermale de la fin du XIXe siècle est sensiblement la même qu’aujourd’hui.
Actuellement dans le bassin de l’Adour une quarantaine de sources sont utilisées, la majorité dans la montagne, une partie dans le secteur de Dax et quelques autres disséminées dans les coteaux d’Armagnac, de Chalosse et du Béarn. Elles jaillissent dans l’immédiate proximité du fleuve et de ses affluents, et pour certaines dans son lit même.
L’intérêt des principes minéraux est leur utilisation comme agents thérapeutiques et les médecins de la première moitié du XIXe siècle préfèrent souvent parler «d’eaux médicinales » plutôt que d’eaux thermales. Au XIXe siècle les eaux des stations du bassin de l’Adour sont particulièrement préconisées pour les rhumatismes mais on trouve aussi de très nombreuses autres indications médicales : dermatoses, névralgies, névroses, maladies utérines, stérilité, maladies des voies urinaires et digestives. Progressivement, à la fin du XIXe et au XXe siècles, les médecins qui ont pris le contrôle des établissements thermaux éliminent certaines pratiques en spécialisant leurs préconisations sur les affections rhumatismales (aujourd’hui à 75%) ou les maladies des voies respiratoires surtout dans les stations de montagne.
Pour soigner ces maux et ces douleurs les usages de l’eau se diversifient. C’est le médecin qui définit la manière dont l’eau doit être utilisée, en interne ou en externe, en fonction des pathologies. Dans la plupart des stations on boit l’eau minérale ; l’investissement que demande l’installation d’une buvette est minime et les consommateurs ne sont pas tenus de séjourner dans l’établissement. Certaines eaux sont tellement demandées qu’il existe des entreprises d’embouteillement. En usage externe, on utilise l’eau sous forme de douches ou de bains. D’abord collectifs, les bains deviennent individuels. Les médecins s’interrogent sur la durée la plus efficace mais doivent tenir compte de la nécessité de libérer les salles pour accueillir de plus en plus de patients. La pratique thermale est donc le résultat d’un compromis entre interrogations thérapeutiques et enjeux économiques.
C’est le médecin aussi qui impose la nécessaire et rigoureuse application des principes d’hygiène dans les établissements de bain et soutient la mise en place de politiques sanitaires.
Le pouvoir médical a donc accentué tout au long du siècle sa mainmise sur le thermalisme en contrôlant malades et traitements, en développant différentes techniques d’hydrothérapie, balnéothérapie, mécanothérapie et en organisant des centres thermaux dans lesquels les médecins investissent.
Sociabilités thermales
Le premier syndicat d’initiative français est fondé à Cauterets en 1884. Cette station thermale pyrénéenne du bassin de l’Adour, fréquentée depuis le XVIIIe siècle, cherche à diversifier les activités proposées aux curistes mais aussi à ceux qui les accompagnent. Les théories aéristes et climatistes fondent la lutte contre les maladies microbiennes et les miasmes en général sur les bienfaits thérapeutiques de certains climats, le repos, les activités physiques modérées et l’alimentation riche. À ces préconisations s’ajoute l’attrait romantique pour la montagne.
La mode est donc lancée d’aller prendre les eaux dans ces espaces dont le climat, la douceur des températures, la « pureté d’atmosphère », la végétation vigoureuse contribueraient à restaurer la santé des citadins altérée par la ville qui, en cette fin du XVIIIe et début du XIXe siècles, est considérée comme malsaine, cumulant vices et fièvres sociales.
Les stations des coteaux et donc du piémont, éloignée des grandes villes et des villes industrielles, attirent une clientèle locale au départ et qui s’élargit dans la seconde moitié du XIXe siècle en particulier grâce au développement des infrastructures de communication.
En 1744, l’intendant d’Étigny fait construire la route de Pau à Barèges pour faciliter l’accès aux stations de montagne qui captent une clientèle aristocratique puis bourgeoise venue bénéficier des vertus des eaux thermales et profiter aussi des lieux, entretenant ainsi une sociabilité mondaine libérée de certaines obligations sociales.
Le 19 septembre 1854, l’impératrice Eugénie inaugure la ligne ferroviaire Bordeaux-Dax, rapprochant ainsi la clientèle parisienne et même étrangère de la station dacquoise qui, grâce à son élite médicale et politique, va prendre le train de la modernité thermale. D’abord le pharmacien et maire, Hector Serres (1807-1899) fait venir de nombreux médecins tentés par les grandes espérances de la fièvre thermale ; puis les Milliès-Lacroix père et fils soutiennent et amplifient le mouvement des années 1880 au milieu du XXe siècle.
Les médecins organisent le séjour des patients dans les stations ; ce sont eux qui définissent les modalités de la cure dont la durée moyenne est de trois semaines. En plus de leurs préconisations thérapeutiques, ils recommandent les activités de plein air, des marches, des excursions, ou encore la visite de sites naturels ou patrimoniaux remarquables. Tout au long du XIXe siècle, on randonne jusqu’au lac de Gaube, on s’extasie devant le cirque de Gavarnie, on herborise dans la vallée d’Ossau avec le célèbre berger autodidacte, Pierrine-Gaston Sacaze, on se promène le long des rives de l’Adour, et à Dax on écoute la célèbre histoire du légionnaire et de son chien devant la « Fontaine chaude ». En tout cas on respire le bon air avec des jeux en extérieur et on entretient une vie sociale en partageant ces activités.
Pour attirer une clientèle souvent mondaine, voire demi-mondaine, ou qui cherche à en imiter la conduite, les autorités médicales et publiques développent des infrastructures culturelles et commerciales destinées à reconstituer des sortes de « petits Paris » où la fièvre acheteuse se satisfait dans les imitations du Bonheur des Dames comme les magasins Mourroux à Dax, où le goût du risque se joue au Casino, mais où l’âme s’élève en écoutant de la musique dans les kiosques ou les théâtres. Tout cela nécessite de nouvelles constructions au goût du jour, hôtels au confort moderne, restaurants à la décoration reconnue par les élites, lieux de plaisir pour lesquels on fait appel à de grands architectes comme André Granet (1881-1974) qui construit l’Hôtel Splendid ou encore Albert Pomade (1880-1957) qui réalise les arènes de Dax en 1913. Ils participent aussi à la construction de demeures pour ceux qui souhaitent un logement pérenne où l’on séjourne de la fin du printemps au début de l’automne. La station thermale devient alors espace de villégiature.
Carte des fontaines aux propriétés thérapeutiques du bassin versant de l’Adour et de ses affluents.
A la limite de la commune avec celle de Saint-Pandelon, sous un petit couvert d’arbres, une fontaine, récemment restaurée par la commune, a été construite autour d’une source sulfureuse et salée. A l’écart de la concentration du bourg et des habitations, cette fontaine est typique d’une installation en milieu rural.
Dans le quartier de Suzan, en contrebas d’un terrain plat couvert d’herbe, se trouve à proximité d’un ruisseau aux rives ombragées d’aulnes glutineux, une source sulfureuse dans un petit bâti de pierre entouré de maçonnerie et d’une grille. Non loin de la source, une petite chapelle.
La source aurait des vertus thérapeutiques pour les rhumatismes, les varices, les maladies de peau, pathologies souvent soulagées par des eaux consacrées à Jean-Baptiste qui aurait ondoyé et même immergé Jésus dans le Jourdain.
Dans les landes du Gabardan, à l’est de Roquefort, Losse est une commune très étendue. Dans l’ancienne paroisse de Lussole on trouve un ensemble de trois sources (les sources Montcaut) au bas d’un petit coteau sablonneux sous un couvert forestier de pins qui laisse passer la lumière. Des sources gouttent des eaux très claires qui confluent pour donner un petit ruisseau qui rejoint l’Estampon.
Sur le chemin se trouvent un puits et un four à pain récemment restauré. Chaque source est entourée d’un petit bâti de pierre. Tout autour des arbres et arbrisseaux, souvent des noisetiers, ont leurs branches qui ploient sous le poids d’une multitude de petits chiffons. L’ensemble est un peu fantomatique mais le calme et le silence de cette forêt à peine troublés du grincement de quelques cigales l’été, produisent une curieuse sensation de bien-être.
Carte des stations thermales dans le bassin versant de l’Adour.
Depuis le début du XIXe siècle Dax est la première ville thermale de France. Elle bénéficie de plusieurs sources et de l’abondance de boues qui permettent de soulager les douleurs articulaires. Les curistes peuvent profiter du très bel hôtel des Grands Thermes construit en 1867, ouvert au public en 1871 mais qui se révèle vite trop petit.
À Eugénie-les-bains, l’eau est utilisée en usage interne en la buvant. Au XIXe siècle, ce peut être une population locale qui vient régulièrement pour cette eau réputée bénéfique contre les troubles digestifs et l’anémie.
À Gamarde-les-Bains, on vient pour soigner des affections de gorge ou des bronches et on utilise alors l’eau gazeuse sous forme de fumigations soit par inhalation, soit par pulvérisation comme dans cette salle de humage. L’efficacité du traitement demande une fréquentation régulière du patient et une surveillance du médecin.
L’utilisation des boues que l’on applique sur différentes parties du patient nécessite des piscines à boues. C’est le cas à Dax, Saubusse et Préchacq-les-Bains, dans des zones où se récolte le limon du fleuve qu’il faut ensuite placer dans des bassins de culture afin qu’au contact des eaux chaudes et du soleil, algues et bactéries se développent. Le péloïde ainsi obtenu peut faire office de cataplasme chaud permettant la diffusion d’oligoéléments et de substances organiques.
Dans ces petites stations thermales, les activités proposées (promenades en barque, jeu de croquet) sont des plaisirs qui demandent peu d’investissement mais permettent aux curistes et à ceux qui les accompagnent de se distraire à moindre coût.
La première pierre de l’établissement Dax-Salin-Thermal est posée par le président Sadi Carnot en 1891. Ensemble très luxueux, il est constitué d’un établissement thermal et d’un casino. Outre les jeux d’argent et de hasard, on trouve aussi restaurant, salon de thé, terrasse pour apéritif dansant, salons d’apparat, salles de bal et hall d’exposition.
Si les architectes des établissements thermaux sont connus, les artisans qui œuvrent à la décoration intérieure sont aussi renommés pour leur savoir-faire et leur sens esthétique. Verriers, ébénistes, céramistes concourent à la beauté des établissements que l’on vient simplement visiter quand la fortune ne permet pas de les fréquenter. Cette frise en céramique qui orne les salles de bains des Baignots illustre le travail soigné des artisans.
En 1905 à Cauterets pour distraire les curistes et ceux qui les accompagnent, est fondé le Théâtre de la Nature « dans un cadre de pelouse, de rochers et de grands arbres sur un fond de montagnes». On fait appel à des artistes de la Comédie française et de l’Odéon pour y jouer des chefs d’œuvre classiques ou des pièces nouvellement créées comme la Samaritaine d’Edmond Rostand, drame religieux, écrit par le dramaturge à la demande de Sarah Bernhardt, et joué pour la première fois le Mercredi saint 14 avril 1897 au théâtre de la Renaissance à Paris.
Les auteurs
Dans le cadre de l’exposition « Adour, d’eau et d’hommes » présentée aux Archives départementales des Landes, un conseil scientifique composé de deux historiennes et d’un géographe a été retenu afin de rédiger une synthèse autour de trois grandes thématiques que sont « La ressource », « Le courant » et « Le chemin de l’eau » dans lesquelles vous aurez plaisir à découvrir de nombreux chapitres sur l’histoire du fleuve Adour.
Les Archives départementales, la direction de la culture et du patrimoine ainsi que le Conseil départemental des Landes tiennent à adresser leurs remerciements aux différents auteurs pour la qualité de leurs textes
- Madame Chantal Boone est docteur en histoire contemporaine (Ecole des hautes études en sciences sociales, Paris) et spécialiste en histoire de la médecine et des sciences biologiques au XIXe siècle. Professeur en immunologie puis en histoire et géographie, elle a été enseignante au service éducatif des Archives départementales des Landes. Retraitée de l’Education nationale, elle est l’auteur de deux ouvrages, Léon Dufour (1780-1865), savant naturaliste et médecin et Hommes de sciences dans les Landes aux XVIIIe et XIXe siècles et codirectrice de publication des Actes du colloque Herbiers, trésors vivants.
- Docteur en histoire (Université de Pau et des Pays de l’Adour), madame Sophie Lefort-Lehmann est spécialiste du patrimoine fluviomaritime. Enseignante en tourisme, histoire et patrimoine à Bayonne, elle occupe le poste de médiatrice culturelle pour le Pôle Patrimoine et l’Office de tourisme de la Ville de Bayonne. Elle est également l’auteur d’articles dans les revues Historia et Arcades.
- Agrégé de géographie, monsieur Jean-Jacques Fénié a enseigné la géographie et la géopolitique du monde contemporain en CPGE (classes préparatoires aux grandes écoles) à Pau, puis à Bordeaux. Membre du conseil scientifique de l’exposition « Adour, d’eau et d’hommes », il est l’auteur de nombreuses publications dont le Dictionnaire des pays et provinces de France co-écrit avec son épouse Bénédicte Fénié, L’invention de la Côte d’Argent suivi du Vocabulaire de la Côte d’Argent, etc. Il est membre de la Société de Borda et correspondant de presse pour le journal Sud-Ouest où il assure aussi la rubrique hebdomadaire Parlam gascon.
Les Archives départementales remercient également tout particulièrement l’Institution Adour ainsi que son Président, Paul Carrère et Aurélie Darthos, directrirce générale des services techniques pour leurs investissements, disponibilités et l’écriture de la dernière partie de cette publication de synthèse.