Les Landes, une forêt dévastée
Les Landes, une forêt dévastée
« La pierre reste, pas le végétal. Il ne subsistera rien, à part les images, de ce pillage climatique. Il nous faut donc en sauvegarder les traces. La méthode peut varier selon la perception de chacun. Moi j’ai décidé d’en garder l’esprit d’une certaine élégance. A l’instar de l’artiste qui ne voit qu’une étrange splendeur au milieu du saccage qui l’entoure. »
Jean Hincker
L'alerte et le déclenchement
« On pourrait ici reprendre l'allégorie dantesque: c'est un poète, et le prince des poètes latins, Virgile, que Dante, poète lui-même, choisit pour guide dans sa visite aux enfers...»
Le lendemain
« La main de Dieu
Pris dans la tourmente ce 24 janvier 2009 – je réside dans la forêt landaise – il m’a fallu du temps avant de présenter ce projet. Désorienté comme tous les habitants du Sud-ouest de la France, l’homme d’images a pris le dessus. La forêt la plus étendue d’Europe, j’en avais fait un livre un an auparavant. Une forêt debout et fière que j’avais immortalisée.
C’est encore en contemplatif que j’ai voulu traduire ce drame végétal. J’ai essayé de montrer une certaine grâce au milieu de la désolation. J’ai écarté dans mes images la main de l’homme : pas d’interventions humaines mais juste les dégâts provoqués par Klaus. J’y ai vu des vestiges et des ruines me rappelant plus les vielles pierres de bâtiments anciens que des débris. Ces images témoignent de la beauté de ces décombres. Comme un remède à la disparition, à l’absence de mon environnement proche.
Photographies aériennes prises par le photographe du Conseil départemental des Landes
La pierre reste, pas le végétal. Il ne subsistera rien, à part les images, de ce pillage climatique. Il nous faut donc en sauvegarder les traces. La méthode peut varier selon la perception de chacun. Moi, j’ai décidé d’en garder l’esprit d’une certaine élégance. A l’instar de l’artiste qui ne voit qu’une étrange splendeur au milieu du saccage qui l’entoure. Mes clichés ne rendent pas hommage à Klaus, loin de là. Mes intentions ne sont pas neutres et la tempête ne me laisse pas de bons souvenirs. Mais je dois avouer que ces arbres et ce décor sculptés par le vent, ces déchirures improbables, l’ensemble baigné par des lumières saisissantes, engendrent une ambiance unique. L’atmosphère d‘une exécution impitoyable par une nature qui affirme sa puissance se mêle à celle d’une mort héroïque des végétaux qu’elle a anéantis. »
Jean Hincker
« Un ras de vent a submergé et détruit les colonnes d’écorce qui supportaient la voûte d’aiguilles. Aujourd’hui, ne subsistent que des ébouriffements ou des chicots d’arcades et d’ogives. »
Allain Glykos
« Forêt décimée. Jamais ce mot n’avait eu autant de sens. Un grand taille-crayon a tout étêté sur son passage. Les troncs biseautés dessinent des corbeaux qui surlignent le contour des nuages. Au milieu d’un amas de branchages et de feuilles, un pin, seul, bien droit. Quelques aiguilles, tout en haut, lui font une crête. Le dernier des Mohicans, sans doute. Des arcs-en-ciel tombent et se croisent sur des tas de bois rangés au bord de la route. »
Allain Glykos
« Sont-ils tombés comme il faut ? Arrachés, déchiquetés, effrangés, sens dessus dessous, on les aura coupés, préparés, ébarbés, comme on habille et rase les morts pour qu’ils soient plus présentables. »
Allain Glykos
La mobilisation
« Pour l'instant, c'est plutôt le vide ahurissant que la lumière neuve souligne: on avait l'habitude de lever les yeux par-delà la couronne des pins pour scruter le ciel, suivre un vol de palombes et voilà que le ciel soudain immense se jette sur nous, qu'il faut maintenant baisser les yeux vers les arbres enchevêtrés par terre, comme si le paysage avait soudain tout entier basculé dans un miroir déformant. »
Marie-Dominique Ribereau-Gayon
Extraits d'émissions de France Bleue Gascogne sur la tempête de 2009 |
« Et toujours, tandis que s’affairent les hommes à déblayer, ébrancher, raccorder les fils sectionnés, porter secours, la lumière infusée, morcelée comme dans un vitrail, éclaire la forêt, y dessine des ombres et lui donne. »
Allain Glykos
« La tempête ce n'est pas que du vent, c'est aussi une tempête sensorielle et émotionnelle qui agite des sentiments violents et ambivalents. »
Marie-Dominique Ribereau-Gayon
« C’est peine de voir tous ces arbres, la veille si fiers de leur taille élégante, renversés dans un désordre indescriptible. Chaque pin ne fut qu’une bûchette dans un gigantesque jeu de quilles fatal, et maintenant il dresse un doigt accusateur vers l’humanité responsable du désordre climatique. On entend encore le cri déchirant de la masse ligneuse s’abattant au milieu de centaines d’autres pins sous l’indomptable souffle diabolique. Pliés, tordus, les pins geignaient, souffraient et finalement s’affalaient avec des cris déchirants de vies broyées, ou se cassaient en résistant à la tourmente. L’arbre a une âme pour l’humain qui en fait son compagnon de vie. Et pourtant ce spectacle d’après-tempête est embelli par l’image. Radeau de la Méduse végétal faisant suite au champ de bataille. Les silhouettes patibulaires se dressent pathétiquement. Mais leur douleur devient formellement belle. L’esthétique transcende la souffrance de ces pins pliés, tordus, décapités, ces lambeaux de chair végétale. Les formes fantomatiques des arbres couchés ou brisés à mi-hauteur nous crient de leur venir en aide, de soigner leurs plaies ouvertes vers un ciel vide. »
Philippe Dubourg