L'Homme et le végétal
L'Homme et le végétal
L’herbier anonyme des Landes, collection de plantes des champs et des jardins réalisée par un auteur inconnu du XVIIIe siècle, est au cœur de l’exposition « L’Homme et le végétal ».
Source d’inspiration pour Martine Chenais, photographe contemporaine, cet herbier invite à l’exploration poétique d’un désir de cueillir, décrire et montrer. L’auteur de l’herbier, sans visage, s’est laissé apprivoiser dans sa patience et sa minutie de collectionneur.
Plantes alimentaires, médicinales, textiles, tinctoriales : cette collection évoque le lien entre l’homme et le végétal. La plante a nourri l’homme et l’a fait rêver.
L’exposition « L’Homme et le végétal » est un voyage dans le temps :
- les premiers temps quand l’homme se nourrit de chasse et de cueillette puis s’installe, domestiquant difficilement son milieu ;
- les temps historiques quand l’écriture permet de connaître les utilisations des plantes et la connaissance qui s’élabore ;
- le temps d’aujourd’hui avec de nouvelles questions sur la mondialisation des végétaux, et sur les terroirs qui subissent des bouleversements paysagers et des évolutions climatiques.
De la nature aux Jardins
Les végétaux ont toujours tenu une place essentielle dans la vie des hommes, parce qu’ils constituent les éléments du milieu dans lequel ils vivent. Ils sont la principale ressource alimentaire des hommes du Paléolithique. Ils sont le combustible qui alimente les premiers feux puis deviennent matériaux de construction pour les habitats du Néolithique (5 500 à 2 000 av. J.-C.), pour les pirogues, premiers moyens de transport, pour les outils agricoles qui favorisent le développement des techniques agraires.
La domestication des végétaux évolue progressivement. Agriculture et élevage sont associés. L’évolution très progressive des techniques agricoles va permettre une plus grande diversité des cultures et de meilleurs rendements. Les plantes mises en culture peuvent être locales, exogènes (d’origine étrangère) et acclimatées avec succès. Ainsi, le maïs introduit en Europe après les grandes découvertes du XVIe siècle est rapidement cultivé dans les territoires landais sous le nom de « blé d’Espagne ».
Si dans les champs poussent des plantes destinées d’abord à l’alimentation, d’autres comme le lin ou le chanvre, répondent à d’autres besoins et la diversification des cultures permet de répondre à de nouveaux usages. Le coton devient un enjeu de la révolution industrielle du textile, tout comme la soie.
Dans les jardins, on cultive les plantes plus fragiles, qu’elles soient alimentaires, médicinales ou tout simplement ornementales. Le plus souvent, la maîtresse de maison se réserve ce territoire proche de la maison, auquel elle apporte ses soins pour l’améliorer.
Au XIXe siècle, les premières extractions des principes actifs et la chimie de synthèse renvoient l’usage des tisanes et des propagations simples (onguents, crèmes, etc.) au savoir culinaire féminin, garant de la bonne santé familiale.
L’étude des différentes strates sédimentaires de la lagune de Bordelounque révèle une présence humaine ancienne (entre 5 500 et 4 800 av. J.-C.) et une agriculture nomade attestée par des espèces spécifiques : déforestation sommaire, cultures puis abandon des territoires appauvris en éléments nutritifs. Ce système agro-forestier laisse progressivement la place au système agro-pastoral vers 1 800 av. J.-C. Sur ce territoire déboisé, on observe la présence de céréales (seigle puis sarrasin) et de graminées propres à nourrir le bétail qui enrichit le sol. L’agriculture se sédentarise.
Les plantes messicoles accompagnent les cultures de céréales, information utile en palynologie.
Les plantes rudérales colonisent les territoires abandonnés par l’homme et peuvent donc, lors d’études palynologiques, indiquer une agriculture nomade.
L’agriculture du Néolithique est une agriculture nomade. Les outils en bois des premiers temps (jusqu’à l’âge de Fer) ont disparu du fait de l’acidité du sable. Des outils présentés, il ne reste que la pierre polie, silex pour la hache et la lame de faucille, ophite pour l’herminette. Les hommes utilisaient la hache pour abattre les arbres ; l’herminette permettait de retourner le sol sur une certaine épaisseur ou de creuser les bois pour faire des pirogues, et la faucille dont la lame est asymétrique avec un bord lustré, à couper les tiges de céréales.
Les céréales ont longtemps constitué la base de notre alimentation. Transformées en farine plus ou moins grossière, elles sont consommées sous forme de pain, galette ou bouillie.
Dès l’époque romaine, on trouve des ouvrages concernant les plantes et leur mise en culture. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, on voit apparaître des ouvrages destinés aux propriétaires terriens qui font l’inventaire des nouvelles pratiques agricoles dans les champs et les jardins. Les petits progrès agricoles observés au XVIIIe siècle améliorent l’offre alimentaire.
L’assolement ou la répartition des différentes cultures sur les parcelles d’une exploitation n’a jamais été le fruit du hasard mais la tentative, heureuse ou malheureuse, de tirer le meilleur parti d’une terre dont certains éléments sont nécessaires à la croissance de tel ou tel végétal. On peut attester au Moyen Âge du recours fréquent à l’assolement triennal avec une année de jachère permettant au sol de reconstituer certains de ses éléments grâce au pâturage du bétail. Le plan de répartition des cultures sur le domaine d’Ognoas est établi, à la fin des années 1930, par la Direction départementale des services agricoles qui réalise des expérimentations dans le cadre d’une agriculture paysanne, encore dominée par la polyculture. Il témoigne d’une association agriculture-élevage qui perdure même après la découverte des engrais de synthèse et la mécanisation.
Cette agriculture paysanne, fondée sur la polyculture avec des productions variées et vivrières, permet au métayer et à sa famille de survivre et même de dégager des excédents pour assumer le coût du métayage et éventuellement améliorer son niveau de vie.
Le nom de cette plante viendrait de la ressemblance de la fleur avec l’empreinte du visage du Christ laissée sur le linge avec lequel Véronique l’aurait essuyé lors du chemin de Croix. C’est une plante médicinale utilisée depuis l’Antiquité : recommandée pour guérir les femmes de leur stérilité et contre les maladies respiratoires. Diurétique, les feuilles de la véronique ont été utilisées comme un thé (thé du Nord).
Les plantes sont nombreuses dans la pharmacopée ancienne. Leur intérêt thérapeutique est reconnu aujourd’hui du fait de la connaissance des principes actifs qu’elles contiennent.
A la fin du XIXe siècle, les médicaments de synthèse s’imposent. Les plantes restent néanmoins un arsenal thérapeutique que la famille utilise en automédication. Certains produits réalisés à base de plantes, comme les sirops et leurs dérivés, sont d’abord des produits alimentaires ; mais leur composition permet de leur octroyer des propriétés bénéfiques pour la santé, même si ces propriétés restent floues.
Ombellifère dont les feuilles ont une odeur caractéristique, le cerfeuil que l’on peut trouver à l’état sauvage ou domestique est utilisé en cuisine en tant que condiment, comme le persil.
Dans l’alimentation humaine, céréales et légumes cultivés, herbes sauvages se mitonnent dans des ustensiles de cuisine qui se diversifient depuis le Moyen Âge. On disposait alors d’une marmite en métal, récipient servant à toutes les préparations. L’apparition de nouveaux végétaux et de nouveaux goûts influence une évolution des ustensiles qui se fait en fonction des matériaux utilisés (cuivre, métaux précieux, faïence, porcelaine, verre), des plats que l’on prépare et de la valeur accordée au produit que l’on offre. Au XVIIIe siècle, l’alimentation commence à se diversifier même si le pain reste un aliment de base important. Les ustensiles s’adaptent à différents usages culinaires et leur esthétique témoigne d’une attention à la présentation qui va de pair avec la variété des mets offerts. Comble de raffinement, le végétal peut inspirer l’aspect du récipient qui le contient.
La terrine, caractérisée par sa forme ovale et son couvercle, permet de présenter pâté ou potage et son décor est souvent en relation avec l’ingrédient du plat servi.
Certaines plantes comme le lin sont cultivées depuis le Néolithique pour leurs capacités à fournir des fibres textiles plus ou moins résistantes.
Si le chanvre aux longues fibres résistantes est utilisé pour les cordages de la marine, le lin est apprécié pour sa résistance dans les textiles domestiques (nappes, draps, bâches) et les vêtements, malgré son manque de souplesse.
De la famille des Malvacées (comme l’hibiscus), le cotonnier est une plante sauvage que l’on a domestiquée pour le textile. Elle pousse spontanément dans des climats tropicaux arides mais peut s’adapter à des climats plus rigoureux l’hiver à condition que l’été reste chaud et sec. Après la floraison, les graines sont couvertes de petits filaments qui donnent du fil de coton. Cette production est attestée dans la vallée de l’Indus vers 2 500 av. J.-C. La plante a été l’objet de nombreuses hybridations pour obtenir la meilleure qualité de coton.
Au XIVe siècle, la culture du mûrier est introduite en France. En 1853, la production de cocons atteint le chiffre record de 26 000 tonnes. L’éducation des oeufs du papillon se fait dans des magnaneries dans lesquelles sont traités, après les différentes métamorphoses, les cocons. L’ensemble de ces opérations fait de la soie un textile de luxe.
L’indigotier est une plante vivace importée des Indes. Tinctoriale, elle fournit un bleu violacé que l’on utilise dès le Moyen-Âge pour la coloration dans certaines villes italiennes comme Florence, où l’artisanat et le commerce du textile étaient développés.
Les cosmétiques et les parfums ont longtemps utilisé des substances minérales, métalliques ou des extraits animaux ou végétaux. On observe dès le milieu du XVIIIe siècle une évolution avec une préférence marquée pour l’utilisation de produits végétaux dans la fabrication des produits d’hygiène courante, comme le savon, mais aussi pour l’ensemble des cosmétiques. La même évolution se retrouve pour les médicaments.
De l'inspiration à la connaissance
Alors que les explorateurs découvrent de nouvelles terres à la nature le plus souvent exotique et luxuriante, les esprits curieux du XVe siècle commencent à s’intéresser à la flore et à la faune qui peuplent leur espace. La botanique au XVIe siècle devient progressivement une discipline à part entière qui reconnaît la plante comme un sujet d’étude. Les peintres ont déjà commencé à dessiner et peindre le végétal avec un réalisme qui permet de l’identifier.
Dès le XVIe siècle, portés par la volonté de définir un savoir commun, des réseaux humanistes s’établissent autour de savants, connus ou moins connus, qui participent à une intensification des échanges d’informations botaniques. La connaissance de la flore de la France et de l’étranger s’améliore.
Au XVIIIe siècle, les plantes sont partout, en semis, alignées, en bouquet, en bordure, en couronne, sur les tissus, les céramiques, les papiers peints... et dans les herbiers qui deviennent à la mode. À l’instar de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), de nombreux amateurs et amatrices s’efforcent de réaliser ces petits chefs-d’oeuvre, vulgarisant ainsi la connaissance botanique. Le médecin Jean Thore (1762- 1823) à la fin du XVIIIe siècle et au début du suivant explore systématiquement les Landes de Gascogne.
La passion de l’ailleurs continue à susciter voyages et explorations souvent commandités par les souverains ; celles-ci deviennent de plus en plus méthodiques, enrichissant le Jardin du Roi d’une grande quantité d’échantillons, de planches d’herbier mais aussi de graines et plants. Léon Dufour (1780-1865) participant à l’expédition d’Espagne de 1808-1814, en rapporte une collection de plantes et d’insectes dont une partie est conservée au Muséum national d’histoire naturelle.
Le lilas, Syringa vulgaris, pousse spontanément en Europe du Sud-Est ; les Arabes l’introduisent en Espagne après la conquête vers 900. Il est cultivé couramment dans les parcs d’Europe occidentale depuis le XVIe siècle. Apprécié pour ses qualités ornementales dans les jardins ou dans les vases, il a un parfum agréable et léger.
Dès l’Antiquité, l’homme utilise les plantes à parfum pour honorer ses dieux et ses morts. Pour se parfumer lui-même, l’homme utilise toutes les parties des plantes qui peuvent livrer leurs odeurs de façon plus ou moins concentrées. Les techniques, extraction par solvant ou distillation, permettent ensuite d’obtenir un ensemble de principes actifs que l’on conserve sous forme d’eau (eau de rose par exemple), d’huile essentielle, ou encore de pommade.
La fleur de lys, que l’on associe souvent à la monarchie française, a une origine plus ancienne. On trouve en effet cette représentation stylisée sur différents objets en Mésopotamie, Égypte, à Mycènes, en Gaule, etc. Elle symbolise soit la pureté, la fécondité, soit le pouvoir et la souveraineté.
La céramique est une technique aussi vieille que l’histoire de l’homme. La faïence est une poterie à émail opacifié se prêtant particulièrement bien à recevoir un décor peint en frise ou en décor de fond. La manufacture royale de faïence de Samadet est fondée sous l’impulsion du marquis et abbé de Roquépine en 1732 pour répondre aux nouveaux goûts pour les arts de la table. Au XVIIIe siècle, la céramique devient alors le support de réalisations picturales souvent extrêmement réalistes, quelquefois plus symboliques, inspirées par la nature et en particulier par les fleurs.
L’apothicaire est l’ancêtre du pharmacien. L’apothicaire peut composer et vendre des médicaments. Il achète ses plantes directement aux récolteurs, bergers ou vieilles femmes, à des intermédiaires, comme les droguistes, ou dans des jardins où poussent des plantes indigènes et exotiques. La récolte des plantes et leur déshydratation doivent être soignées afin de favoriser leur conservation dans des pots de faïence ou de porcelaine. Les hôpitaux disposent d’une apothicairerie généralement bien fournie. Les nombreux pots sont présents dans une structure de bois travaillée comme celle de l’hôpital thermal de Dax, disposition que l’on retrouve dans les pharmacies jusqu’au début du XXe siècle.
Jean Thore (1762-1823), médecin, herborise dans les Landes à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle. Installé à Dax à partir de 1795, il organise une école d’Histoire naturelle. Son herbier, aujourd’hui conservé au musée de Borda de Dax, est rare car il contient des plantes qu’il a découvertes et nommées pour la première fois. Il est le seul à avoir herborisé dans le département avant les grandes transformations paysagères du XIXe siècle. Thore nomme et classe les plantes selon les principes définis par Linné et il ajoute des informations concernant leurs éventuelles propriétés thérapeutiques ou toxiques.
Léon Dufour (1780-1865), médecin et naturaliste passionné, est initié à la botanique par Jean Thore puis s’enthousiasme pour l’entomologie. À l’exercice de la médecine qu’il pratique jusqu’à la fin de sa vie, il ajoute un travail important de naturaliste qui lui vaut de participer aux grands débats de l’époque sur l’histoire naturelle et l’évolution.
Léon Dufour s’engage en 1807 comme médecin militaire et part le 22 mars 1808 en Espagne avec les armées de Napoléon. Le trajet que Dufour effectue n’est pas aussi si simple qu’il y paraît sur la carte, car son régiment fait de multiples allers-retours et participe de longs mois à des sièges de villes. Dufour travaille, comme médecin dans les hôpitaux de campagne, mais il profite aussi de cette expédition pour réaliser d’importantes collections de plantes et d’insectes. Il noue des relations avec les naturalistes espagnols les plus talentueux de l’époque. Dans son journal qu’il tient pendant cette période, il note les plantes qu’il a récoltées.
Les catalogues établis par les auteurs d’herbiers sont utiles pour connaître le type de classification des plantes qu’ils ont choisi, et donc l’emplacement du spécimen dans l’herbier. Léon Dufour classe dans ce catalogue les angiospermes (plantes à fleurs) selon la méthode naturelle d’Antoine-Laurent de Jussieu. Celle-ci tient compte d’un grand nombre de caractères morphologiques, visibles à l’oeil nu ou non, lui permettant de déterminer les similitudes entre les plantes, et d’envisager un ordre. Cette classification est adoptée par les instances dirigeantes du Jardin du roi puis du Muséum national d’histoire naturelle. Les découvertes de nouvelles plantes sont validées par ces grandes institutions, ce qui a pour effet d’unifier les connaissances botaniques. Pour définir le genre et l’espèce d’un végétal, les botanistes se réfèrent aux publications, lesquelles donnent des grilles d’identification établies et acceptées.
Sur l’ordinateur du botaniste, on peut consulter deux herbiers numérisés sous forme de diaporama. La numérisation des planches d’herbier permet d’observer l’échantillon, de différencier les parties de la plante (racine, tige, feuille, fleur, fruit), d’en observer la morphologie et l’organisation. À côté de l’échantillon une étiquette porte le nom de la plante en latin et en français, la date et le lieu (milieu) de la récolte. Les collections de plantes sont très fragiles, leur numérisation permet de les consulter sans les manipuler et les sortir de leurs conditions de conservation. Elles deviennent accessibles à tous et tout le temps. − L’herbier anonyme des Landes, réalisé par un amateur à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, est essentiellement un herbier utilitaire avec des plantes de jardins et de champs aux propriétés variées. Il est conservé aux Archives départementales des Landes. − L’herbier de Léon Dufour, est réalisé par un savant botaniste et entomologiste, dans la première moitié du XIXe siècle. Ce savant a récolté de nombreux échantillons mais il en a aussi reçu beaucoup de ses relations scientifiques provenant d’autres régions et d’autres pays. Cela permet pour une même espèce d’observer d’éventuelles différences liées à l’adaptation des espèces à leurs territoires. Cet herbier est conservé dans l’herbarium du Jardin botanique de Bordeaux.
Lorsque l’auteur d’un herbier récolte des échantillons qu’il ne connaît pas, il confronte ses hypothèses de nomenclature et de classification à celles de ses relations scientifiques, en envoyant à ceux-ci un ou plusieurs échantillons. Ces échanges d’informations et de spécimens sont fréquents aux XVIIIe et XIXe siècles et s’établissent d’abord dans le cadre de relations personnelles, puis par l’intermédiaire de sociétés d’échanges de plantes.
La correspondance que Pierre-Eudoxe Dubalen (1851-1936), pharmacien puis conservateur du premier musée de Mont-de-Marsan en 1886, entretient avec Émile Boudier en est un exemple : description et appellation des champignons récoltés complétées par une aquarelle qui permet une étude plus fine de la morphologie d’un végétal ne se prêtant pas à une mise en herbier.
Au cours du XIXe siècle, de nouveaux modes d’échanges de spécimens apparaissent avec les sociétés d’échanges. Certains botanistes du XIXe siècle, comme Henri Bordères (1825- 1889), instituteur à Gèdre (Hautes-Pyrénées), se spécialisent dans la création ou l’édition de centuries qui contiennent une centaine d’espèces de plantes différentes. Pour réaliser ces centuries, ils collectent un nombre élevé d’un échantillon d’une même espèce accompagné d’une étiquette complète afin de pouvoir distribuer une part de chaque espèce ou variété aux cent personnes ou institutions inscrits pour les recevoir. Les envois peuvent passer par des sociétés d’échange ou être effectués par les botanistes eux-mêmes lorsqu’ils sont suffisamment connus. Les informations fournies sur les étiquettes sont très précises et respectent les normes en vigueur de l’époque considérée. Elles sont d’un intérêt certain pour la botanique systématique, pour définir la végétation d’un milieu, les associations végétales, et l’histoire des paysages locaux.
Ce cahier de travaux pratiques qui date de la fin du XIXe siècle est celui d’un étudiant de la faculté de médecine et de pharmacie de Bordeaux. Les schémas montrent l’intérêt pour la morphologie de la plante et la physiologie végétale. Dès le début du XIXe siècle, la botanique est enseignée dans les lycées puis dans les écoles. Les instituteurs et institutrices jouent un rôle important dans la connaissance en faisant découvrir aux élèves le milieu dans lequel ils vivent.
Le sium, plante herbacée, présenté sur cette planche, est identifié par un amateur qui lui donne plusieurs noms : un premier en latin élaboré par Tournefort (1656- 1708) identifié par T, qui est le plus long ; un deuxième en latin, fondé sur la nomenclature binominale de Linné, avec le nom du genre puis celui de l’espèce ; et enfin le nom vernaculaire en français.
De l'essai à la domination
Le naturalisme et les disciplines qui en proviennent se fondent sur l’expérimentation et une plus grande rigueur d’observation. Pour les hommes de sciences, elles doivent se traduire par des évolutions concrètes avec la volonté d’améliorer les milieux dans lesquels les hommes vivent, souvent avec difficulté.
Sur le littoral, le mouvement des dunes retient l’attention de nombreux savants dont Nicolas-Thomas Brémontier (1738-1809) qui préconise la fixation du sable par des plantations de différents végétaux, de l’ajonc aux pins, toujours d’actualité.
Les cahiers de doléances de certaines paroisses revendiquent d’assécher certaines zones humides des marais dont la population redoute les vapeurs « méphitiques » dénoncées par les médecins.
Les sociétés d’agriculture tentent alors des essais, certains raisonnables, d’autres plus fantaisistes. Pour la grande sylviculture qui se met en place dans les années 1870-1880, c’est finalement l’espèce endogène, le pin maritime, qui est retenu. Les paysages landais changent considérablement avec la disparition progressive du système agro-sylvo-pastoral qui entraîne celle d’un mode de vie rural, spécifique à cet espace.
De nouveaux goûts et un commerce qui se mondialise provoquent, lors de la deuxième moitié du XXe siècle, une arrivée importante de plantes ornementales exotiques qui s’installent dans et hors des jardins. Or, les formations végétales landaises sont originales : landes à bruyère, prairies humides et prairies sèches, zones tourbeuses du plateau landais et cordon de dunes et d’étangs du littoral qui abrite des formations rases et arborescentes et des ensembles de végétation aquatiques et amphibies. Cette flore endémique des Landes, flore fragile mais spécifique, connaît alors une crise, à l’issue incertaine, provoquée par la présence de plantes exotiques capables de coloniser des écosystèmes complets et donc de faire disparaître des plantes locales.
Dans cette vaste étendue plate, on trouve des landes où poussent les molinies et des pignadas (bois de pins). Les cours d’eau y circulent lentement, la constitution des sols et les précipitations abondantes d’hiver et de printemps favorisent les inondations et la formation de marécages. La population de ces espaces développe un système d’activités complémentaires, système agro-sylvo-pastoral, qui tire parti des ressources naturelles du milieu. On pratique un élevage extensif de moutons rustiques afin d’amender quelques sols convenablement choisis pour la culture des céréales et on utilise les produits des forêts proches.
Dès le XVIIIe siècle, de nombreuses personnalités, s’interrogent sur la manière d’améliorer les conditions de vie des populations locales en rendant ce système plus productif, tel l’abbé Louis-Mathieu Desbiey (1734-1802), qui a également pratiqué avec son frère des essais de fixation des dunes par des semis de pins à Saint-Julien-en-Born.
Le marais d’Orx, autrefois appelé « Grand Moura », tient probablement son origine des divagations du fleuve Adour cherchant son débouché vers l’océan entre Bayonne et Vieux-Boucau, débouché sans cesse obstrué par des dunes en formation. A la fin du XVIIIe siècle, on estime à 3 500 hectares la taille de ce marais tourbeux avec son lac. En 1807, l’assèchement du marais est décidé. La qualité d’exécution du plan et ses grandes dimensions sont exceptionnelles car il a été probablement présenté à l’empereur Napoléon Ier qui séjourne à Bayonne d’avril à fin juillet 1808. L’assèchement n’est commencé qu’en 1848 et presque totalement achevé en 1860 grâce à de puissantes pompes. Le marais est alors utilisé pour des productions agricoles.
La plaine des Landes de Gascogne est comme un triangle limité au sud par l’Adour, à l’ouest par l’océan et à l’est par la Garonne puis la Gironde. A l’ouest, ce grand ensemble est bordé d’un système dunaire parallèle à la côte. Les dunes mobiles sont à l’origine de déplacements de villages. Depuis le XVIe siècle, on cherche à stopper l’avancée du sable et, au XVIIIe siècle, de nombreuses personnalités font des essais tels les frères Desbiey en 1769. Brémontier obtient de généraliser l’expérience sur l’ensemble du littoral avec des plantations de différents végétaux, de l’ajonc aux pins. Les travaux de fixation des dunes commencent en 1801 et s’achèvent environ soixante-dix ans plus tard. Il a fallu mettre en place des palissades de bois, parallèles au rivage, pour retenir le sable et les déplacer dès que le sable se déposait à l’arrière. Le cordon de dunes artificielles entre la mer et la forêt est planté d’oyats, plantes qui supportent ensablement et air marin et bloquent le sable par accumulation au pied de la touffe végétale.
L’ajonc est un arbuste pouvant atteindre plusieurs mètres qui fleurit à partir de décembre et pendant le printemps. Ses fleurs jaunes sont hérissées d’épines. Sa graine est toxique. C’est une espèce caractéristique des landes à sol acide ou neutre du domaine atlantique et dans les Landes, on le trouve dans la pinède. Il se développe particulièrement bien dans les secteurs humides, sauf lorsqu’on pratique des débroussaillages intensifs. Une prairie ou une pâture abandonnée est rapidement recolonisée par l’ajonc.
Le genêt anglais est un arbrisseau pouvant atteindre un mètre de hauteur qui fleurit d’avril à août et dont les rameaux anciens portent des épines. Il est caractéristique des forêts claires de pins, des landes à callune (bruyère) d’Europe occidentale. Dans les Landes, on peut le trouver associé à une flore spécifique sur les parties hautes des rivages des lacs et des étangs, là où se sont accumulés des matériaux tourbeux, résultat des inondations fréquentes et durables. Les grands travaux du XIXe siècle ont permis de réguler les niveaux d’eau et de limiter considérablement ces inondations.
La Société d’agriculture des Landes est fondée en 1798 avec comme premier objectif de développer la vaccination jennérienne contre la variole. Siégeant à Mont-de-Marsan, chef-lieu du département, elle s’oriente, sous l’impulsion étroite du préfet, vers la mise en valeur du territoire. Parmi les membres correspondants se trouve Jacques-François de Borda d’Oro (1718-1804), président de la société en 1800 ; celui-ci s’intéresse plus particulièrement à l’acclimatation de l’arachide qui n’eut pas de suite.
L’arachide est une légumineuse originaire d’Amérique du Sud, introduite en Afrique au XVIe siècle puis aux États-Unis et en Extrême-Orient. Son fruit est une gousse qui renferme deux graines, les cacahuètes dont on peut extraire une huile que l’on utilise dans l’alimentation. Sa culture s’étend aux zones tropicales car elle a besoin d’une pluviosité modérée et de chaleur pendant sa croissance. L’acclimatation de l’arachide au XIXe siècle dans le département des Landes n’a pas le succès escompté. A la fin du même siècle, la colonisation des territoires africains (constitués de l’Afrique occidentale française et de l’Afrique équatoriale française) permet de satisfaire la demande française.
Associée à la Société d’agriculture des Landes, la Pépinière centrale départementale de Mont-de-Marsan est fondée en 1812. Les pépinières sont tout à la fois l’occasion de réaliser un jardin pour la population urbaine, faisant ainsi basculer l’idée de jardin privé vers celui de jardin public et de promouvoir un certain nombre de plantes acclimatées, plantes ornementales ou utiles. La réalisation paysagère de la pépinière participe à la démocratisation de l’art du jardin, autrefois réservé aux aristocrates.
La pépinière propose un modèle de jardin que l’on peut reproduire dans son petit domaine en y introduisant des variantes liées au terrain, à la taille et surtout à son goût.
Espèces végétales d'intérêt patrimonial et espèces végétales invasives : quelles interactions ?
Depuis la fin de la dernière glaciation, il y a environ 12 000 ans, le territoire landais est couvert – pour partie – par des formations végétales très originales. Le plateau sableux landais se caractérise par des landes à bruyères, des prairies humides, des prairies sèches, ainsi que des zones tourbeuses. Sur le littoral, un cordon de dunes et un réseau d’étangs abritent des formations herbacées rases, des formations arborescentes, ainsi que des complexes de végétations amphibies et aquatiques.
Au fil du temps, une flore exceptionnelle s’y est développée, subtil mélange d’espèces qui ont réussi à se maintenir après les glaciations et de nouvelles espèces arrivées depuis les refuges glaciaires de la proche zone méditerranéenne.
Au fil des conquêtes militaires et des voyages outre-mer, de nombreuses plantes exotiques ont été rapportées en France. Le port de Bordeaux, par l’importance de son trafic, semble être un point d’arrivée pour plusieurs d’entre elles. Plus tard, durant la seconde moitié du XXe siècle, le commerce des plantes d’ornement a également apporté son lot d’espèces exotiques.
Loin de leurs habitats naturels d’origine, la majorité de ces plantes a trouvé des conditions favorables à son développement, d’abord dans les parcs et jardins, puis dans les milieux naturels landais. Une poignée d’entre elles seulement a réussi à franchir toutes les barrières biologiques pour devenir invasives, qualifiées alors de « pestes végétales ». Dans ce lot de plantes invasives, rares sont celles qui conduisent à une déstructuration des écosystèmes landais, mais leur impact sur la survie des espèces indigènes est majeur.
Aujourd’hui, les invasions d’espèces exotiques sont considérées comme le deuxième facteur d’érosion de la biodiversité dans le monde, c’est le cas dans les Landes. La flore endémique exceptionnelle de notre département connaît aujourd’hui une crise dont l’issue est incertaine. Face à ce constat, des actions de lutte sont entreprises mais leur coût financier et leur impact sur les écosystèmes sont très élevés.
Les deux espèces de Jussie (Jussia grandiflora et Jussia peploides) sont des plantes amphibies dont les tiges peuvent atteindre plusieurs mètres de longueur. Originaires d’Amérique du Sud. Elles ont été introduites pour l’ornement des bassins et plans d’eau. Elles s’installent préférentiellement en pleine lumière dans les eaux stagnantes et chaudes, parfois sur les berges des cours d’eau lents.
L’herbe de la pampa (Cortaderia selloana) est une grande graminée vivace. Elle est originaire du Chili, de l’Argentine et du Brésil. Elle a été introduite en France à des fins horticoles. Ses graines peuvent se disperser jusqu’à 25 kilomètres sous l’action du vent. Sa large amplitude écologique lui permet de s’installer durablement dans les dunes, les prairies et les boisements épars.
L’érable negundo (Acer negundo) est un arbre de taille moyenne au tronc court et au houppier développé. C’est une espèce originaire d’Amérique du Nord qui a été introduite au XVIIe siècle en France pour l’ornement des parcs et jardins. Il s’installe très facilement dans les plaines inondables et les ripisylves, grâce à sa fructification abondante mais aussi à ses capacités de bouturage. Il concurrence directement les saules, aulnes et peupliers indigènes à la faveur de perturbations des berges occasionnées par les cours d’eau. La technique de l’écorçage constitue aujourd’hui la méthode de lutte la plus satisfaisante contre cette espèce.
Les plantes exotiques envahissantes présentent des caractéristiques communes. Elles portent sur trois registres différents que sont la physiologie, la démographie et la génétique propres à chaque espèce.
Du point de vue physiologique, ces espèces ont une croissance rapide, un grand potentiel d’acclimatation et une grande facilité à puiser leurs ressources alimentaires. Du point de vue démographique, elles produisent des graines à fort pouvoir de dispersion dans des environnements variés ; elles ont une maturité sexuelle précoce et une dynamique de population très forte. Du point de vue génétique, elles sont autogames (les cellules sexuelles proviennent du même individu) ou utilisent un pollinisateur généraliste et sont de plus capables d’une multiplication végétative vigoureuse.
Les processus d’invasion :
- La première phase d’une invasion est l’introduction dans un nouveau territoire, ce qui nécessite de franchir une barrière géographique parfois importante.
- La seconde phase correspond à la période pendant laquelle une plante doit parvenir à se développer jusqu’au stade adulte dans un environnement nouveau.
- La troisième phase, dite de naturalisation, est franchie lorsque la plante est capable de se reproduire durablement. La phase de prolifération est atteinte dans le cas où la plante parvient à coloniser rapidement de nouvelles zones.
- La dernière phase, celle de l’invasion, survient lorsque la plante apparaît en masse dans certains milieux naturels qu’elle contribue à perturber.
La multiplication des cas d’invasion de plantes exotiques a conduit à la nécessité de planifier des opérations de lutte. La surveillance de la propagation de ces espèces constitue un outil de décision et d’évaluation incontournable, mais trop souvent négligé. La lutte chimique, interdite en France en bord de cours d’eau et de plans d’eau, consiste à appliquer des produits phytocides (destructeurs de plantes) sur les parties aériennes des plantes. La lutte physique s’appuie sur différentes techniques de fauche, de faucardage, d’arrachage ou encore de bâchage. La lutte biologique vise à introduire un organisme capable de décimer les plantes invasives. Enfin, la lutte écologique propose, à petite échelle, de modifier les sites envahis en créant un ombrage qui bloque le développement de ces plantes souvent héliophiles, ou encore d’introduire un troupeau d’herbivores.
La marsilée à quatre feuilles (Marsilea quadrifolia), plante protégée et inscrite sur le livre rouge de la flore menacée, est une fougère amphibie de petite taille (< 20 cm). Elle croît dans les eaux stagnantes ou faiblement courantes, où elle recherche surtout les fonds riches en limons. Elle est encore assez commune dans la vallée de l’Adour. Ses habitats sont également très favorables à l’installation d’une plante exotique envahissante, la jussie à grandes fleurs (Ludwigia grandiflora), introduite en Europe pour l’agrément des bassins. Plus dynamique, plus grande et très recouvrante, la jussie concurrence la marsilée pour l’accès à la lumière indispensable à son développement. De plus, la quantité importante de tiges et feuilles fanées déposée annuellement par la jussie conduit à un comblement des lames d’eau les plus faibles en quelques années, et donc à la disparition des habitats aquatiques de la marsilée.
La rencontre : exposition photographique de Martine Chenais
Avait-il un atelier, un bureau ou était-ce sur la table du repas familial qu’il déposait sa récolte quotidienne ? Qui était-il et que cherchait-il en composant ses herbiers ? Quel était son rêve ? Aujourd’hui sous mes yeux défilent ces portraits de plantes. Tout son travail, autant de réponses possibles. À la découverte des précieuses planches de végétaux déployés sur le papier, à travers leurs empreintes, nous nous sommes rencontrés. Je le devine appliqué à lisser les feuilles d’un plantain, à déplier un rossolis pour en faire ressortir toute la complexité, à compléter une étiquette de son écriture raffinée. Chaque réalisation dit sa patience et sous des couleurs fondues, brunes pour la plupart, garde à la plante sa physionomie, sa personnalité.
L’herbier, arrivé jusqu’à moi, a fait naître un sentiment mêlé de douceur, de respect, d’émotion. Dans mes premiers pas hésitants, de feuille en feuille, se dessinaient des images mystérieuses. Je marchais sur des chemins inconnus. Je voulais découvrir, être étonnée. Je me suis laissée émerveiller. Comme lui, sous le même soleil, j’ai observé parfois longtemps chaque plante. J’ai cherché leur secret. Je me suis inventée des voyages, j’étais exploratrice et nous nous sommes croisés. À la naissance d’une tige, à la lisière d’un pétale, dans la transparence d’une corolle nous nous sommes retrouvés. À la couleur, à la forme, à la lumière, au vent j’ai composé ma palette. Et mon travail s’est construit comme un prolongement. Un lien à ne pas rompre.
Biographie de Martine Chenais, Auteur-photographe
Après un début de carrière dans le dessin industriel, Martine Chenais intègre l’Ecole technique de photographie et d’audiovisuel (ETPA) de Toulouse en 1986. Photographe de plateau pour La Cinq jusqu’à la fermeture de la chaîne télévisée, portraitiste et maquettiste pour différents magazines, durant trois ans, Martine aiguise son regard de photographe. Avec la fin de l’aventure de La Cinq, sa parenthèse parisienne s’achève en 1992. Native du Gers, Martine revient alors dans le Sud-Ouest et s’installe dans les Landes où elle répond à des commandes de diverses institutions publiques. Jusqu’en 2005, elle est pigiste pour le journal Sud-Ouest à l’agence de Mont-de-Marsan et pour Côté Sud, Votre maison et Jardin passion, elle réalise des photographies de décoration. De ce parcours ponctué de rencontres et de ruptures, Martine a forgé son indépendance et son autonomie. Pour Martine Chenais, la photographie est une respiration. Comme on ne réfléchit pas à la mécanique de ses poumons, elle ne se perd pas dans le dédale des techniques de la prise de vues. Son point d’équilibre est dans ce qu’elle voit et non pas dans la manière de le photographier : « Être à la bonne place, être juste. Être dans le lieu, dans le sujet. Et respirer comme lui. »