Au début du quaternaire (à partir de 18.000 ans), avec les grandes alternances de glaciations et de réchauffements, ces torrents orientés au nord confluent dans des vallées arrondies et forme le fleuve Adour qui, après la courbe gersoise roule ses eaux vers l’ouest. Bloqué par les sables des landes, il s’incurve vers le sud pour s’immerger dans l’océan au travers d’un littoral aquitain désormais fixé par les activités de l’homme.
De source en embouchure, le fleuve Adour, long de près de trois cent dix kilomètres, traverse quatre départements, les Hautes Pyrénées, le Gers, les Landes et les Pyrénées atlantiques, et draine un bassin d’environ 17.000 kilomètres carré, aux nombreux milieux et paysages.
Avec ses multiples sources, ses nombreux affluents de montagne, de coteaux et de plaine, le fleuve Adour roule ses eaux à l’abondance saisonnière. Hiver de montagne, printemps et automne du sud océanique, et l’Adour enfle et sort de son lit ordinaire pour s’épancher sur les berges. Eté sec du midi qui grille plantes et animaux et le fleuve est au plus bas.
L’homme intervient très tôt dans l’histoire de l’Adour ; il s’installe dans sa proximité, profite de ses ressources pour satisfaire ses besoins essentiels, l’eau bien sûr, mais aussi les poissons qui y nagent et les plantes qui croissent sur des rives aux riches terres alluviales. L’histoire de l’Adour est une histoire ancienne, celle des hommes qui aménagent les bords de l’eau pour y installer leurs outils de pêche et agencer leurs champs afin d’étancher les soifs végétales et animales.
L’eau qui satisfait ce besoin universel des êtres vivants, acquiert par là un caractère sacré intimement lié aux soins du corps et de l’âme. Multiples sources dont on invoque les divinités tutélaires et dont on attend un secours contre les malheurs biologiques et qui deviennent fontaines quand les hommes en aménagent l’accès ; nombreuses sources thermales de la montagne et de la plaine dont les autorités médicales et politiques réglementent l’usage. Autrefois la géographie de l’eau était géographie du sacré ; aujourd’hui, époque laïque et désacralisée elle devient géographie thérapeutique.
L’Adour est d’eau vive, tumultueuse quand elle dévale la montagne, paresseuse quand elle traverse les plaines, bousculée quand la marée remonte et inverse son courant à proximité de son embouchure. D’eau vive quand, torrent sur pente forte et vallée encaissée, elle charrie rochers, cailloux qu’elle abandonne au fil des obstacles ; d’eau vive toujours quand, rivière sur pente faible, elle se divise en plusieurs bras, roule de galets en cailloux, de graviers en sable dessinant des courbes aux rives dissymétriques, rongées par l’érosion, ou plages d’alluvions. D’eau vive encore quand, à proximité de l’océan, et, entre des berges à fleur d’eau, le fleuve, que le courant continue de porter faiblement, que le limon et la vase encombrent et qu’un rien de sable arrête, le fleuve hésite et divague entre Vieux Boucau et Boucau où l’homme le fixe.
La force de son courant, l’homme l’a toujours utilisée, pour entraîner le sale des draps battus par les lavandières ou les résidus des tanneurs, pour faire tourner les moulins, pour produire l’énergie nécessaire au travail de la forge et plus tard l’électricité. Le courant c’est aussi le radeau, le bateau, galupe ou tilhole, et aujourd’hui le kayak des vacances.
L’homme en tire profit dans le cadre d’une économie d’abord de proximité avec un arrière pays local puis régional. Progressivement l’avant pays s’élargit aux littoraux atlantiques de l’Europe puis d’Amérique. Les hommes du fleuve s’accommodent de cette double vie, sédentaire et productive, aventureuse et ouverte sur l’ailleurs.
Double vie aussi du fleuve car le chemin de l’eau est aussi un chemin de terre avec des berges que le pas des bœufs de halage foule lentement, que l’homme de rivière aménage pour ses nombreuses activités et qu’il apprivoise aussi pour le plaisir du beau et du calme.
Les gués, les bateaux de toute nature font du fleuve un espace de libre circulation et de continuels franchissements, seulement troublés par la turbulence de l’eau. Les rives sont plus proches alors que les arrières pays ; la violence des flots qui peuvent les éloigner ne sont qu’une de ces catastrophes naturelles dont le Ciel a le secret. Pour s’en prémunir, l’homme construit. Du gué au pont de bois puis de pierre, enfin d’acier et de béton, les rives s’isolent et ne se rejoignent que d’un lieu à l’autre ; les circulations se modifient.
Les hommes du fleuve se regroupent dans les bourgs et concentrent leurs activités au bord des quais, activités de transport et de commerce, et celles qui leur sont corollaires, de contrôle et de plaisir. Dans les villes portuaires se développent les quartiers des bateliers, des charpentiers de marine, des entrepôts de négoce, des auberges. Le port d’embouchure, port militaire, industriel et commercial à l’avant pays atlantique, domine alors les ports fluviaux aux arrières pays limités. S’établit une hiérarchie des centres portuaires et des espaces qu’ils animent.
Ports, ponts, routes et bientôt chemin de fer modifient considérablement la vie des hommes du fleuve devenu au fil de l’eau quasiment infranchissable aux nouveaux usages. Les activités du fleuve ne sont plus que résiduelles ; demeure pourtant la magie de l’eau qui continue d’aimanter le regard et de mettre en émoi les forces poétiques des hommes.